A la recherche des traces du ghetto de Varsovie

En séjour à Varsovie, un jour du début d’été 2012, je suis partie à la recherche des traces du ghetto :

Des traces du passé juif important de la ville, je n’ai vu jusqu’à présent que de petites statuettes de Juifs religieux et des chandeliers argentés dans les vitrines des boutiques de la vieille ville. Comme ces objets qu’on retrouve dans les tombes égyptiennes et qu’on expose dans les musées.

J’ai aussi dîné dans un restaurant d’une rue du quartier Muranow, au cœur de l’ancien quartier juif, qui proposait certains des plats alors habituels des Juifs de Varsovie ; il y avait sur les murs des photos de la rue commerçante et animée, au début du 20ème siècle, quand la majorité de ses habitants étaient juifs. Avec ses hommes en caftan ou en costume moderne, ses marchands d’objets en tout genre, ses femmes pressées…

Je me suis munie d’un plan marquant la délimitation du mur du ghetto ou plutôt des murs puisque le périmètre du ghetto s’est rétréci au fur et à mesure des années, comme un nœud coulant enserrant mortellement de plus en plus de gens :

  • Première enceinte de novembre 1940 à octobre 41
  • Nouvelle enceinte à partir de septembre 1942.

Le ghetto est en plein centre-ville, directement adossé à la vieille ville, encastrant le cimetière juif, avec les lignes de chemin de fer qui s’accrochent au Nord, comme une vaste pompe aspirante. De Varsovie à Auschwitz.

positionnement dans la ville (en plein cœur !)

Mon plan retrace les réseaux de rue, en rose celle de l’époque du ghetto et en noir celle de l’époque actuelle. Dans beaucoup d’endroits, les deux tracés ne se superposent pas. Tout en effet a été à reconstruire. Tout avait été démoli. Il s’agissait de ne laisser aucune trace.

Faire oublier le ghetto mais aussi, et peut-être surtout, la vie des Juifs de Varsovie avant la guerre. Ils représentaient alors à peu près un tiers des habitants de la ville (380 000 personnes), avec une langue, le Yiddish, des habitudes alimentaires, une vie sociale, une vie culturelle, tout un faisceau d’associations religieuses ou non…

Le cheminement du mur est très tortueux, laissant d’une part des enclaves libres (les halles Mirowska, des bâtiments publics), et d’autre part enserrant des lieux juifs comme la grande synagogue à l’est.

Tous les espaces verts sont en dehors du ghetto. Il fallait ne pas lui donner d’air, ne pas leur donner d’air.

1ère visite :

C’est aujourd’hui jour de marché le long des halles Mirowska. Pour y aller, je traverse un parc, m’avance dans une rue jusqu’à franchir la limite du ghetto, limite totalement impalpable maintenant. Le plan marque une porte à cet endroit-là, qui ne devait s’ouvrir que dans un sens pour les juifs qu’on amenait des autres quartiers ou d’autres villes. Le mot « gate », marqué sur le plan, convient mieux : porte mais aussi barrière.

Les halles sont à droite, avec un petit mur d’enceinte qui semble à l’emplacement du mur du ghetto. Ou bien ce mur-ci tenait-il lieu lui-même de mur pour le ghetto ? Le mur est tagué. Des enfants jouent. Le temps est doux ce matin-là. Balançoires pour les petits, bancs pour les mamans. Beaucoup de dames âgées aussi avec leur cabas, seules. Dans le ghetto, les enfants sans doute aussi s’inventaient des jeux. De même certains adultes ont continué, au moins pour un moment, à jouer de la musique.

Je m’enfonce plus avant dans l’espace du ghetto. Traversée de l’immense avenue Jean Paul II. Varsovie est trouée ainsi de larges avenues toutes droites. Nouvelle avenue communiste passée ensuite, après la destruction d’un autre mur, à la mémoire du très catholique Jean Paul II. L’avenue a été tracée sur les ruines (les cendres ?) du ghetto.

Avez-vous vu des photos du ghetto après-guerre, particulièrement cette photo d’un champ de cailloux, on ne peut plus parler de ruines à ce stade, et cette église au fond, intacte, la croix fièrement dressée en haut du clocher ?

De l’autre côté de l’avenue Jean Paul II, un panneau de signalisation comme il y en a dans toutes les rues : rue Krochmalna. Isaac Bashevis Singer y a vécu et plus tard a raconté, inventé, condensé une multitude de vies dans son livre la rue Krochmalna. La rue Krochmalna s’arrête maintenant à l’avenue Jean Paul II. Le reste, le long des halles, se perd dans une cité. La rue Krochmalna a été amputée.

De la rue Krochmalna si animée de Singer, il ne reste rien qu’un bout de tracé sur le plan et un bout de rue dans la Varsovie moderne.

2ème visite :

De la fenêtre de mon logement, on a vue sur une petite église. J’ai vu le prêtre s’y promener en robe de bure marron, mains dans le dos, un petit chien qui le suivait et derrière, la « tour Peugeot ». C’est écrit tout en haut. On la nomme aussi la « tour bleue ».

Tour vitrée des années 80, mais dont la construction a été décidée par la municipalité dès les années 60, à l’emplacement exact de l’ancienne grande synagogue de Varsovie. La tour est isolée, aucune autre tour dans ce quartier, comme si on avait voulu s’assurer, une fois pour toutes, que la synagogue ne pourrait pas être reconstruite. Comme si on avait voulu l’écraser une seconde fois. Même si j’ai lu que l’architecte a veillé à ce que le pied de la tour rappelle la structure de la synagogue.

A gauche : Grande synagogue inaugurée en 1878 et démolie le 16 mai 1943 avec le ghetto
A droite : la tour Peugeot ou tour bleue

Dans l’institut historique juif situé en face, la première salle consacrée au ghetto montre une photo de la synagogue démolie : des pierres en vrac, et encore droits (ou redressés ?) les deux chandeliers à sept branches.

Sortie de l’institut, avec en tête toutes les photos du ghetto, ses vieux immeubles remplis à craquer, ces morts sur les trottoirs, décharnés, qu’une vieille charrette vient ramasser, ces femmes enceintes qui mendient auprès de gens totalement démunis, je ne peux qu’essayer, en plissant les yeux, de gommer tous ces immeubles des années 60, cette immense avenue qui n’existait pas et revoir les images du ghetto. C’était là.

Seul le tout petit bâtiment en forme de guérite au milieu de l’avenue est présent à la fois sur les anciennes photos et sur le paysage actuel.

3ème visite:

Hier, au cours de ma promenade, je n’en ai pas parlé parce que je cherchais des traces du ghetto et non des mémoriaux, j’ai croisé sur mon chemin deux panneaux de verre et pierre, érigés en 2008 par la municipalité de Varsovie, en certains points de l’emplacement du mur. Il y a un texte en polonais et un texte en anglais qui commence ainsi :

« Par ordre des autorités occupantes allemandes, le ghetto fut coupé du reste de la ville le 16 novembre 1940 ». « Cut off from the rest of the city ». Une coupure brutale, une séparation, un mur haut de trois mètres. La ville d’un côté, une souricière de l’autre.

Par terre, des pierres de couleur marron s’alignent à l’emplacement du mur. Il faut en imaginer la hauteur.

 

 

J’ai voulu voir le mur, me rapprocher de la sensation d’enfermement qui devait saisir tous ceux du ghetto.

Il faut marcher au-delà du palais de la culture, cette énorme pièce montée stalinienne dont on peut se demander quel peut en être le rapport avec la culture, juste derrière il y a une petite rue, à l’extrême sud de la première frontière du ghetto. C’est la rue Zolta. Au 62 de cette rue, si la porte du pâté d’immeubles est ouverte ou si, par hasard, un des habitants y pénètre ou en sort, on peut entrer. Il faut alors s’enfoncer entre les immeubles pour, tout au fond à droite, se trouver face à un bout de mur de briques. Effectivement haut. Il y faudrait l’habileté d’un perchiste pour « faire le mur ».

De ce bout de mur, il est écrit qu’il est un reste du mur du ghetto.

Le lieu est sombre, entouré d’immeubles, avec quelques arbres. Je suis seule. Tout à l’heure, un homme voyant que je cherchais mon chemin, m’avait abordée en allemand, me demandant ce que je cherchais. Je n’avais pas osé le lui dire. Et comment se dit mur en allemand ?

Plus tard, sur le chemin du retour, toujours dans l’enceinte du ghetto, je découvrirai, bien cachée aux regards de ceux qui passent dans les rues, une synagogue rénovée. Lieu calme mais vivant. Il reste donc quelques Juifs à Varsovie pour un tel lieu, après la chasse aux Juifs de la guerre 39-45 et après les phases ultérieures d’antisémitisme du régime communiste.

Il y a aussi, à côté de la synagogue, un lieu de théâtre yiddish, qui joue des pièces en yiddish et en polonais. Peut-être arrive-t-il ainsi à réunir Polonais juifs ou non sur les traces de cette culture juive ?

 

Il est si difficile encore de parler de tout cela avec les Polonais. Il y a tout de suite cette dénégation : nous n’y sommes pour rien, c’étaient les Allemands.

Pour les rafles en France, on s’est aussi retranché longtemps derrière les décisions allemandes alors qu’on savait que c’était des policiers français qui avaient frappé aux portes et des autobus parisiens qui avaient emmené hommes, femmes, enfants, vieillards de Paris à Drancy ou Pithiviers.

Liens :

http://www.enseigner-histoire-shoah.org/outils-et-ressources/fiches-thematiques/les-grandes-etapes-de-la-shoah-1939-1945/etude-de-cas-le-ghetto-de-varsovie-1940-1943-12.html

http://memoiresdesdeportations.org/fr/lieux-internement/pologne-ghetto-varsovie#tab=camp

Note : Depuis ce parcours le « musée de l’Histoire des Juifs polonais » a été inauguré sur le site du ghetto.

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Une réponse à A la recherche des traces du ghetto de Varsovie

  1. Krakovitch Odile dit :

    Très émouvant et très intéressant. L’article nous amène à continuer à décider que nous n’irons jamais en Pologne, ni à Varsovie, ni à Cracovie, ni à Auschwitz. De même que nous n’irons pas en Autriche, ni dans aucun de ces pays qui n’ont pas le courage d’écrire leur histoire. Merci de cette visite que l’on n’oublie pas.

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