L’exposition Christian Boltanski : Faire son temps (Centre Pompidou jusqu’au 16 mars)

En haut La Dernière danse 2004
En bas Les Regards 2011

En parcourant, au centre Pompidou de Paris, l’exposition du plasticien conceptuel français Christian Boltanski, on est invité(e) à déambuler dans une suite de séquences marquant des étapes de son oeuvre. C’est l’un des sens du titre Faire son temps. Sans que le parcours soit chronologique, l’artiste trace une sorte d’archéologie de son histoire et « exhume » les différentes formes qu’elle a revêtues à travers une cinquantaine d’oeuvres : installations, peintures, théâtre d’ombres, objets bruts ou retravaillés, mannequins parlants comme chez Kantor*, photographies papier ou projetées, enseignes lumineuses foraines « Départ » et « Arrivée »qui ouvrent et clôturent la promenade, films, vêtements entassés… Les ampoules et la lumière, opposées à l’ombre et au noir, jouent un rôle majeur, comme les sons très divers, musique, voix enregistrées, souffles, sonorisation répétitive des films. De l’art total pour une exposition qui est une oeuvre en soi.

Les Reliquaires
Autels Chases 1988

Entre-temps 2003

Réserve : Les Suisses morts 1991

Le spectateur est amené lui aussi à prendre et faire son temps, car si les pièces emblématiques proposées concernent le passé recomposé de leur auteur, leur portée universelle s’adresse à tous. Les objets comme les nombreuses boîtes à biscuits en fer blanc (Réserve : Les Suisses morts), la pâte à modeler, les objets trouvés, les photos parfois écornées sont des reliques dépositaires de mémoire et de souvenirs et renvoient, par l’émotion suscitée, à notre propre histoire. Toute l’oeuvre de Boltanski est une méditation sur la mort, indissociable de la vie, dans la longue tradition des Vanités. Il nous invite à saisir cette mélancolie issue  de sa propre histoire puisqu’il a été confronté, comme il le dit « dès sa conception » en 1944, à la Shoah. On peut rappeler que son père, juif russe originaire d’Odessa, a été caché par sa mère (catholique) pendant toute la durée de la dernière guerre dans une trappe sous le parquet de leur appartement parisien. (cf le roman La Cache* de Christophe Boltanski, son neveu). Un contexte fondateur qui travaillera tout son parcours. On en trouve des traces directes comme par exemple ses premiers tableaux montrant des personnages disloqués dans des contextes macabres (1957-1968), les tas de vêtements au sol ( le Musée des enfants 1989, le Lac des morts 1990), renvoyant aux entrepôts nazis dans les camps.  Ou encore des photos d’enfants d’une école juive de Berlin en 1938, imprimés en gros plan sur des voiles lacérés (que sont devenus ces enfants?) Ou encore Les Portants (2000), sur lesquels sont  disposés deux portraits sur tissu représentant une victime et un assassin disposés côte à côte et traités de la même manière. Une idée importante qui se concrétise dans un couloir de l’exposition, avec les 1200 visages photographiés de Menschlich* (1994), -où sont réunis, égalisés par la mort, victimes de la Shoah, bourreaux nazis, familiers de l’artiste, Suisses-, ou encore les Registres du Grand Hornu (1997), charbonnage belge, contenant les photos et identités des ouvriers de ces mines. « Il n’est pas juste de dire 5000 mineurs, il faut nommer chaque mineur ».

Mais attention! L’autobiographie est prétexte à mise en scène, mise en fiction dans l’espace et dans le temps. Il faut « se défaire de soi » dit Boltanski, passer du « je au il » de l’humanité entière. L’humour et la dérision peuvent y concourir, « je ne suis pas triste, je montre la tristesse ». C’est pourquoi l’artiste fabrique de petites paraboles en faisant parfois intervenir les spectateurs : il a recueilli lors d’expositions 70 000 battements de coeur déposés sur l’ île japonaise de Teshima (Coeur, début en 2005) ou fabriqué dans le désert de Patagonie des trompes, vouées à disparaître, qui avec le vent sont censées reproduire le son des baleines, témoins du début des temps pour les Indiens (Misterios 2017). Le plasticien se veut mythologue, bricoleur de légendes. Il recueille et montre la mémoire du monde en s’effaçant de plus en plus, « il a fait son temps ». Transmettre aux autres est essentiel, en posant des questions sans jamais donner de réponses.

Derrière, Les registres du Grand-Hornu 1997
Devant, Le Terril Grand-Hornu 2015

Il y a deux façons de visiter cette exposition : ou bien vous vous aidez du document explicatif qui vous est remis, au risque de ne pas vous laisser surprendre ni emporter.

Ou bien vous vous laissez porter par vos sens sollicités, sans chercher à comprendre, quitte à lire le document ensuite (ou pas). C’est ainsi que je me suis sentie hantée longtemps après cette expérience. Cette oeuvre, décidément, laisse en vous des traces durables, quand l’épaisseur du temps a passé.

NOTES

Photographies de Mathieu Lazare Fromentèze

Tadeusz Kantor (1915-1990) : metteur en scène et plasticien polonais, né à Wielopole. Créateur d’un théâtre très visuel, contenant peu de texte, avec des décors en bois encombrés d’objets fabriqués et détournés, et de mannequins mis sur le même plan que les acteurs. Ses thèmes sont proches de ceux de Boltanski, l’enfance, la guerre, la violence, le temps.
Mises en scène : par exemple La Classe morte 1974, Wielopole, Wielopole 1980, Aujourd’hui c’est mon anniversaire! 1990

Christophe Boltanski : roman La cache (2015), Folio, prix Femina.

menschlich : mot allemand signifiant humain

 

 

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3 réponses à L’exposition Christian Boltanski : Faire son temps (Centre Pompidou jusqu’au 16 mars)

  1. isabelle frandon dit :

    Merci, Reine, de ce bel article dans lequel je retrouve ce qui fait le parcours zigzaguant de ce que Boltanski ne conçoit pas comme une exposition mais comme une expérience à la fois sensitive et mentale, installation au sens large du terme. Par deux fois, je l’ai faite et je suis allée aussi dans les sous-sols de Beaubourg m’immerger dans « Fosse », et je garde des deux une émotion encore très présente. J’aimerais que Boltanski accepte de faire quelque chose pour le Collectif des Morts de la Rue.
    Je trouve que tu as raison de parler de mythologies, c’est très juste et fait comprendre aussi comment l’œuvre de cet artiste s’inscrit dans l’histoire de l’art.
    Merci une fois encore, Reine!

    • Reine dit :

      Il dit aussi se référer constamment au caractère religieux (« religio » : religion, mais aussi lien) de l’art.

  2. Eve dit :

    Merci Reine
    Cela donne envie de visiter cette expo surtout quand on vit loin des grandes villes …
    Vivement que je vienne à Paris
    Eve M

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