Conférence JCall / La paix maintenant ( 8 novembre 2021) : Premier bilan du nouveau gouvernement israélien

En Israël, les élections législatives de mars 2021 ont enfin permis de clore la période Netanyahou, inculpé depuis 2019 pour corruption, fraude et abus de confiance. Un nouveau gouvernement de coalition très large a été investi le 13 juin.

Il s’appuie sur les élus à la Knesset (parlement israélien) des partis suivants : Yamina (parti de Naftali Bennett, très à droite, réunissant laïcs et religieux), Nouvel Espoir (fondé par Gideon Saar, ancien du Likoud ; situé plutôt à la droite du Likoud), Israël Beytenou (parti laïc et nationaliste fondé par Avigdor Liberman, également ancien du Likoud), Yesh Atid (parti centriste et laïc de Yaïr Lapid), le parti Bleu-Blanc (coalition centriste présidée par Benny Gantz),  le parti travailliste (parti qui a longtemps dirigé le gouvernement israélien mais très déclinant, actuellement sous la présidence de Merav Michaeli), le Meretz (parti laïc et socialiste, à gauche du parti travailliste, présidé par Nitzan Horowitz), Ra’am liste arabe unie (parti arabe, présidé par Mansour Abbas).

La coalition représente 61 députés sur 120, donc a une très faible majorité. Naftali Bennett est premier ministre pour deux ans et sera ensuite remplacé par Yair Lapid.

Pour faire un premier bilan, les organisations JCall et La Paix Maintenant ont reçu le 8 novembre (1) :
– Gaby Lasky, avocate spécialiste des droits de l’homme, députée du Meretz, membre des commissions des Lois : « Statut des femmes et Egalité des genres » et « Affaires étrangères et Défense ».
– Denis Charbit, historien politologue, Open University of Israël, auteur de nombreux ouvrages sur le sionisme et la société israélienne (2).

Gaby Lasky prend la parole la première :
Elle considère ce gouvernement de très large coalition comme un miracle après les années Netanyahou. Si le Meretz a décidé d’y participer malgré ses différences essentielles avec les autres partis, c’est parce qu’il pensait que ce gouvernement pouvait sauver la démocratie et qu’il serait possible de travailler sur des sujets communs.

GL considère qu’il y a eu d’ores et déjà des avancées : un nouveau budget a enfin été voté début novembre alors que le budget précédent n’avait pu qu’être reconduit depuis 2018. Nisan Horowitz, ministre de la Santé et membre du Meretz, a obtenu 2 milliards de shekels (0,58 milliards d’euros) pour le budget de la santé ; une réforme de la cacherout diminue le rôle du rabbinat dans les prises de décision. Il y a un nouveau statut pour l’environnement qui aligne Israël avec d’autres pays. Des mesures d’égalité entre hommes et femmes, religieux et non religieux, juifs et arabes ont été actés. Par exemple la réalisation de trois nouvelles villes dans le Neguev pour les bédouins. Pour Gaby Lasky c’est un gouvernement de changement.

Après ce constat positif, Gaby Lasky temporise : ce n’est pas une coalition de gauche ; si le gouvernement s’est engagé à ne pas faire de nouvelles annexions comme l’avait prévu le gouvernement précédent, il n’est pas là pour mettre fin à l’Occupation. Il y a beaucoup de sujets de désaccord entre les différents partis de la coalition. Le Meretz essaie de bloquer tout ce qui peut contribuer à empêcher la solution à deux États. Ce gouvernement doit comprendre qu’il ne peut pas faire n’importe quoi en particulier construire de nouvelles implantations dans les territoires occupés et qu’il doit mettre fin à la violence des colons contre les Palestiniens.

Les partis de droite ont aussi leurs problèmes. Des propositions telles que légaliser les implantations illégales ne passent plus.

Dans le gouvernement précédent, il eût été impensable d’inviter des organisations des droits de l’homme comme Betselem, Breaking the silence, Yesh Din (3) …  à participer à une réunion de la commission « défense et sécurité », ce qui a été le cas récemment.

Gaby Lasky conclut en disant que Meretz et gauche doivent se renforcer si l’on veut mettre fin au conflit.

Denis Charbit prend ensuite la parole en se focalisant plutôt sur la question des relations extérieures et du conflit israélo-palestinien.

Il dit se positionner de manière plus critique que Gaby Lasky, n’étant pas impliquée dans la coalition. En positif, il confie : enfin on se sent moins étranger dans ce pays, des choses peuvent être dites. Les cinq dernières années ont été très pénibles.

Qu’est ce qui a changé dans les relations extérieures et sur la question palestinienne ? On revient à une concertation avec les USA, notamment sur l’Iran et Y. Lapid, ministre des Affaires étrangères, est convié à la conférence des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. A l’inverse, les relations avec la Russie se refroidissent et Israël ne s’affiche plus avec les pays ultra-conservateurs du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie).

Concernant les accords de normalisation avec un certain nombre de pays arabes réalisés sous Netanyahou (accords d’Abraham), Denis Charbit les approuve mais regrette qu’ils se soient faits au détriment des relations avec les pays pionniers dans la paix avec Israël : Egypte et Jordanie. Heureusement, le nouveau gouvernement renoue des liens avec ces deux pays. Y aura-t-il un rapprochement avec l’Arabie Saoudite ?

Et pour en revenir à l’essentiel qui est la question palestinienne : Netanyahou avait réussi à habituer l’opinion israélienne à ce qu’il n’y ait plus de négociations entre Israël et le peuple palestinien ; ce qui est très grave.

Sur la Palestine, Bennett a dit : « pas de nouvelle annexion mais pas d’État palestinien ». Sur ce point, Denis Charbit ne voit pas de vraies différences avec la politique de Netanyahou. Celui-ci avait déjà dû renoncer à ses projets d’annexion à cause des accords d’Abraham.

L’important c’est : comment parvient-on à convaincre les Israéliens qu’il faut revenir à une table de négociations ? Cela ne se fera pas avec Mahmoud Abbas (il est très âgé et son report constant des élections l’a décrédibilisé aux yeux des Palestiniens). Il faudrait qu’un nouveau visage arrive aux affaires au moment de l’arrivée de Y. Lapid comme premier Ministre. Pour Denis Charbit, la balle est dans le camp des Palestiniens.

Denis Charbit revient sur les ONG palestiniennes mises en cause par le gouvernement, accusées de liens avec le terrorisme. C’est à la justice de trancher, avec des preuves s’il y en a. On ne peut se contenter de on-dit.

Il y a une vraie passivité de l’autorité militaire vis-à-vis des colons qui empêche les Palestiniens de travailler, de cultiver leurs champs. Le gouvernement doit réagir.

Denis Charbit se demande comment, avec cette coalition et dans un contexte international qui se désintéresse de la question palestinienne, celle-ci peut réémerger. Il insiste sur le fait que, pour lui, le blocus d’Israël, la dénonciation de l’apartheid ne peuvent pas faire avancer les choses. Si les pays avec lesquels ont été passé les accords d’Abraham intègrent la question palestinienne, cela peut faire bouger l’opinion israélienne.

Enfin Denis Charbit considère très important le fait qu’un parti arabe soit intégré dans la coalition. Il souligne l’importance de la figure de Mansour Abbas. Celui-ci démontre par son côté modéré, par son humour, la normalité possible des relations entre juifs et arabes. Et, pour l’opinion publique, si c’est possible avec les arabes israéliens, pourquoi pas avec les Palestiniens ? Les affaires intérieures peuvent ainsi avoir des retombées positives sur les relations entre Israéliens et Palestiniens.

Denis Charbit conclut en indiquant que le pays est divisé entre 1/3 d’Israéliens pour une solution à deux états, 1/3 pour le grand Israël et un autre tiers sceptique, qui a vu les pourparlers de paix s’enliser, mais peut être convaincu qu’une paix est possible s’ils sont confortés dans le fait que les pays arabes reconnaissent la légitimité d’Israël. Un espoir subsiste donc pour un État palestinien.

Pour notre part, si la fin de l’ère Netanyahou nous semble une bonne chose, nous restons un peu sceptiques sur la configuration très large du nouveau gouvernement et notamment sur sa capacité à faire avancer la résolution du conflit israélo-palestinien, à réprimer les violences des colons et à bloquer les implantations illégales. A suivre donc.

(1) On peut voir l’enregistrement complet sur le site de JCall : https://fr.jcall.eu/videos/enregistrement-de-la-conference-premier-bilan-du-nouveau-gouvernement-israelien

(2) Parmi les publications de Denis Charbit : Retour sur Altneuland: la traversée des utopies sionistes, (éd. de l’Éclat) ; Israël et ses paradoxes (éd. Le Cavalier bleu) :

(3) Voir dans ce blog le portail des forces de paix en Israël https://maclarema.fr/PaixIsrael.html

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