Les Juifs américains : 4 De 1945 à aujourd’hui

A la fin de la seconde guerre mondiale deux tiers des Juifs d’Europe ont disparu dans les camps et avec eux la culture juive du Yiddishland*. La prise de conscience de cette tragédie s’accompagne pour les Juifs américains d’une grande culpabilité, du remords de n’avoir rien ou pas assez fait, pour les sauver. Beaucoup d’entre eux ont perdu des membres de leur famille restés en Europe et le procès d’Eichmann à Jérusalem en 1961, relayé entre autres journalistes par la philosophe Hannah Arendt dans le New-Yorker, accentue cette prise de conscience. En Europe, les Juifs survivants sont parqués dans des camps de personnes déplacées, apatrides, ne sachant où aller. Il faut attendre 1948 pour que le président Truman puisse ouvrir les frontières aux réfugiés. Cette loi sera élargie en 1950 puis en 1965, amendements qui permettent à 1 million de personnes d’immigrer. Les 2 millions de Juifs soviétiques ont un sort plus problématique. Beaucoup se sont « déjudaïsés » et plus ou moins assimilés après la guerre. Mais l’antisémitisme virulent de Staline à la fin des années 1950 qui se termine en « procès des blouses blanches » puis la Guerre des Six jours en 1967, où l’Urss arme les états arabes, favorisent le retour à une conscience juive. Sous diverses influences, dont celle des dissidents soviétiques, et en raison de deals économiques avec les Américains, les autorités d’URSS ouvrent plus ou moins les frontières entre 1968 et 1993. 280 000 Juifs  partent pour les Etas-Unis, un million pour Israël.
Enfin on note depuis les années 1980 une immigration volatile d’environ 400 000 Israéliens, jeunes et majoritairement juifs (mais pas toujours).  A cela s’ajoute une faible immigration de Juifs d’Asie centrale et d’Iran.

En 1948 l’Etat d’Israël est créé : les Juifs américains soutiennent massivement par leurs dons le jeune état mais très peu y émigrent (1000 par an). Les Juifs américains fréquentent les synagogues dont le nombre s’étend, mais davantage comme des centres communautaires qu’en raison d’une foi religieuse. Des collèges juifs laïcs voient le jour, comme l’Université Brandeis (1948) près de Boston, les école juives du soir sont très fréquentées, de toutes obédiences. Pour les Réformés et les Conservateurs, la religion est vécue comme un moyen d’insertion sociale et de cohésion du « peuple juif ».

Aujourd’hui la communauté est d’une relative homogénéité sociale. Les Juifs d’Europe de l’est, qui sont arrivés entre 1880 et 1939, ont rattrapé en niveau de vie les Juifs des précédentes immigrations. Près de 80% des Juifs appartiennent à la classe moyenne, 20% à la classe supérieure, 10% sont pauvres à très pauvres (dont une grande majorité à New-York).
Dans la classe moyenne, grâce à leurs diplômes, ils exercent des professions libérales, sont enseignants, avocats , médecins ou dirigent de petites et moyennes entreprises. Les femmes y sont représentées à part égale. Moins d’1% appartient à la classe ouvrière.
En haut de la pyramide 25% des riches américains sont juifs. Ce sont des hommes d’affaires dans la finance, l’immobilier, le commerce, les medias, la publicité, l’électronique, le luxe, le cinéma, la production musicale…La réussite économique permet de consolider une vertu cardinale liée à la religion juive, la solidarité, qui s’exprime par une forte philanthropie. Les fondations juives créées viennent en aide à la communauté mais également à des causes non juives.
Les Juifs pauvres (700 000 environ) sont souvent âgés, peu instruits, peu anglophones et continuent de vivre dans les quartiers misérables des grandes villes. La pauvreté touche surtout des Juifs venus d’URSS après la seconde guerre mondiale, des survivants de la Shoah et aussi des orthodoxes ayant beaucoup d’enfants et n’exerçant pas de métier pour se consacrer à l’étude. Mais il y a moins de nécessiteux que dans les autres populations américaines.

Sur le plan géographique les Juifs ont effectué une migration intérieure en quittant les centres des grandes villes pour les banlieues ou des villes plus petites limitrophes, signe d’embourgeoisement et de respectabilité. Une infime minorité vit à la campagne. Ils sont présents dans tous les états mais avec des disparités importantes. New-York  conserve sa place de capitale juive américaine (1 500 000 personnes). La côte nord-est jusqu’à Washington rassemble 45% des Juifs, le Midwest 13%, le Sud 23%, l’Ouest 22%. Mais la migration vers le sud (Atlanta, Miami) et vers l’ouest (Los Angeles, San Francisco) s’accentue chez les jeunes générations. et même un nombre non négligeable de New-Yorkais déménage vers ses banlieues comme le Westchester ou dans d’autres états. Comme pour les autres Américains la suburbanisation est irrésistible.
Ces déplacements intérieurs se sont accompagnés d’un relatif déclin démographique. Le démographe italo-israélien Sergio della Pergola note qu’entre 1939 et 2014 les Juifs américains sont moins nombreux alors que la population générale a augmenté (de 3,7% de la population les Juifs sont passés à environ 2%). Quelles en sont les causes?
*Le vieillissement : les Juifs font peu d’enfants (taux de natalité 1,6, plus bas que les autres minorités) à part les orthodoxes.
*La grande majorité des femmes travaille dans des postes à responsablité et font peu d’enfants.
*L’accroissement (un mariage sur deux) des mariages exogames (sauf chez les traditionnalistes) qui font parfois perdre aux descendants toute revendication identitaire.
*L’immigration pratiquement inexistante dans les années 2000 au profit d’Israël qui est devenu le premier pays d’implantation des Juifs dans le monde(43%) contre 39% aux USA. (Tel-Aviv est maintenant la première capitale juive du monde).
*La désintégration de la plupart des quartiers  juifs, la modélisation de « l’American way of life » font que les Juifs américains non orthodoxes sont happés par le melting pot qui risque de les assimiler totalement et leur faire perdre une identité juive parfois flottante.
Mais actuellement on remarque un léger accroissement démographique, en partie à cause du nombre élévé d’enfants dans les familles orthodoxes.

Un point particulier : les relations entre les Juifs et les Noirs

On a vu dans l’article précédent que dès la fin du XIXè siècle les Juifs et les Noirs faisaient cause commune, se considérant à juste titre discriminés (cf affaire Leo Frank, cf la chanson Strange fruit) par les Blancs. Jusqu’à la fin des années 1960 une majorité de Juifs aux idées libérales (en particulier dans la jeunesse universitaire) éprouvaient de la sympathie pour la cause noire et certains militaient activement pour les droits civiques. Martin Luther King défilait avec des rabbins et des organisations juives.

Des représentants juifs défilent avec Luther King pour les droits civiques

Mais peu à peu à la faveur de différents évènements les deux communautés s’éloignent pour devenir parfois antagonistes. A partir de 1964 des émeutes noires massives se succèdent dans beaucoup de villes et les commerces juifs en sont affectés. D’autre part comme d’autres mouvements (par exemple contre la guerre au Vietnam) le mouvement noir conduit par des leaders comme MalcomX* converti à l’Islam et Louis Farrakhan*, ou le groupe des Black Panthers*, symbole du Black Power, se radicalise en excluant les Blancs dans une visée séparatiste. Une preuve en est le conflit qui éclate à Nex York en 1967 au sujet du contrôle des écoles*. Plus encore que les autres Blancs les Juifs sont désignés comme exploiteurs économiques et culturels des Noirs, étant même rendus responsables de l’esclavage. Des discours publics violemment antisémites, dignes du Protocole des Sages de Sion, se répandent. En 1967 la Guerre des Six-jours cristallise cette tension. Beaucoup de jeunes militants Juifs, même révolutionnaires, qui avaient « oublié » leur appartenance juive, se sentent concernés par le sort de l’Etat d’Israël qu’ils considèrent en danger et s’inquiètent des discours antisionistes des leaders noirs prenant fait et cause pour le nationalisme arabe.
Plus récemment on peut noter les propos ouvertement antisémites de Jesse Jackson, candidait à la présidentielle de 1980. Et à l’instar du mouvement Nation of Islam toujours dirigé par Louis Farrakhan, des groupes afro-américains, les Hébreux Noirs, se revendiquent les uniques descendants des tribus d’Israël. Un adjoint de Farrakhan publie en 2005 The synagogue of Satan au titre évocateur. Difficile d’apprécier le retentissement de ces discours dans la communauté noire. Ils touchent surtout les milieux pauvres et à l’autre bout les étudiants et universitaires. Difficile aussi de connaître la prégnance du racisme anti-noir ches les Juifs américains. Une certitude : les causes ont inéluctablement divergé.

SOURCES

Nathan Glazer : Les Juifs américains du XVIIè siècle à nos jours (Calmann-Lévy 1972)
André Kaspi : Les Juifs américains (Plon 2008)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Relation_entre_les_Noirs_et_les_Juifs_aux_%C3%89tats-Unis 

NOTES

Malcom X (1925-1965) : de son vrai nom Malcom Little, converti à l’Islam sous le nom de El-Hajj El-Shabazz, prêcheur et leader de Nation of Islam, qu’il quitte ensuite, est un militant de la cause afro-américaine. Activiste violent dans les années 1950, il appelle dans les années 1960 à plus d’universalisme et se rapproche de leaders pacifistes comme Luther King. Assassiné par un militant des Black Muslims. (article wikipédia)

Louis Farrakhan (né en 1933) : de son vrai nom Walcott, d’origine antillaise , violoniste de métier jusqu’en 1955 où il intègre le mouvement Nation of Islam dirigé par Elijah Muhammad. Ils se convertit à l’Islam et prend le nom de Farrakhan. Il s’oppose violemment à Malcom X et aurait eu un rôle incitatif dans son assassinat. Il dirige Nation of islam en lui donnant un tournant très religieux. Il se rend dans de nombreux pays africains et en Libye devenant l’ami de Khadafi. Toujours très virulent contre les Juifs dans ses propos il soutient des thèses complotistes, négationnistes, entretient des rapports avec l’extrême droite pro-nazie. On le surnomme le « Hitler noir ».(article wikipédia)

Black Panthers : mouvement révolutionnaire de libération afro-américain d’inspiration marxiste-léniniste et maoïste, né en Californie en 1966, fondé par Huey Newton et Bobby Seale. Ceux-ci rédigent un programme en 10 points, anti-capitaliste et internationaliste, qui prône la lutte des classes mais pas la lutte des races. Les femmes y jouent un rôle de plus en plus important. A la suite des émeutes de Watts (1965), le BPParty se spécialise dans la lutte contre la police en armant des patrouilles d’auto-défense. Ils établissent aussi des programmes sociaux et médicaux d’envergure pour remédier à la pauvreté noire. Dès les années 1970 ils font alliance avec des mouvements blancs, en particulier les mouvements féministes et homosexuels. Ils sont les proies constantes du FBI qui s’infiltre dans le mouvement et est à l’origine de multiples emprisonnements et assassinats de cadres du BPP. Le parti se désintègre vers la fin des années 1980 en raison de dissensions internes et de l’emprisonnement long de certains chefs. On dit qu’il exerce encore une certaine influence sur le mouvement « Blacks matter ». (article wikipédia)

Affaire du contrôle des écoles (New-York, 1967) : les Noirs veulent un contrôle communautaire des écoles de NY. Or la majorité des maîtres et directeurs sont juifs et des élèves, noirs. Les professeurs, diplômés au mérite, craignent d’être remplacés par des professeurs noirs bénéficiant de la toute nouvelle « discrimination positive » et entament en 1968-1969 des grèves longues et très suivies qui désorganisent le fonctionnement des écoles et détériorent les relations entre Juifs et Noirs.

Pour illustrer cet article je vous conseille deux films :

A Serious Man (2009) de Joel et Ethan Coen : en grande partie autobiographique (article à venir). En DVD

Judas and the black Messiah (2021) : de Shaka King. Ce film raconte les évènements qui précèdent l’assassinat par le FBI d’un leader noir des Black Panthers, Fred Hampton, en 1969. A voir sur Mycanal ou Amazon Prime video.

 

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