Les Juifs américains : 2 L’immigation « allemande »


Epicier en gros d’origine allemande à Atlanta en 1923

L’immigration « allemande » formée d’Allemands et aussi de Tchèques, de Polonais, de Russes ou d’Alsaciens, s’étale de 1825 à 1894 dans un mouvement permanent, avec un pic entre 1840 et 1860 (sauf pendant la guerre de Sécession 1861-1865). De 15 000 vers 1840, le nombre de Juifs américains passe à 250 000 vers 1880 (soit plus de 6% de la population).

1 Les raisons de cet afflux sont nombreuses :

Les Juifs de ces pays sont très pauvres. Interdits de travailler la terre ils subissent selon les régions des brimades sociales et économiques.

En France la Révolution puis Napoléon émancipent les Juifs, y compris dans les pays conquis par la France. En Allemagne la réforme des Lumières née à la fin du XVIIIè siècle touche les classes aisées juives qui rompent avec la tradition et revendiquent un Judaïsme adossé à la raison. Ces combats intellectuels menés par des intellectuels comme Moïse Mendelssohn ou des rabbins comme Isaac Wise (qui émigre en 1846), aboutissent à la création de congrégations, d’écoles modernes, à l’abandon de certains préceptes mosaïques incompatibles avec le réformisme. Dans les offices on introduit l’orgue, les prières en allemand. Certains réformistes vont même jusqu’à se convertir au Christianisme pour mieux s’assimiler. Néanmoins beaucoup de jeunes hommes séduits par la religion des Lumières émigreront en Amérique et la colporteront à tel point qu’elle sera à l’origine du Judaïsme réformateur majoritaire aujourd’hui outre-atlantique.

En outre les Juifs de tous ces pays sont victimes d’un antisémitisme virulent prenant diverses formes : en Allemagne on les pousse à une assimilation totale (encouragée aussi de l’intérieur par la Réforme), dans les autres pays ils sont brimés, assignés à résidence comme en Russie, voire massacrés dans des pogroms.

Enfin ils sont sensibles à l’attrait d’un pays en pleine ascension économique et démographique.

2 Le rêve américain?

Les premiers immigrants « allemands » sont très pauvres et traditionnalistes, les Réformistes aisés et cultivés viendront plus tard, à partir de 1845.
Des sociétés philanthropiques juives allemandes, françaises ou américaines paient le voyage des plus pauvres. Parmi eux une majorité d’hommes célibataires. Dans un premier temps ils sont colporteurs et se déplacent dans tout le pays : Sud, Middle West, Grands Lacs et à partir de 1850 Californie. Souvent ils se fixent en devenant marchands en gros ou en détail. Certains font fortune dans le commerce puis dans la banque dans les années 1860 (familles Lehman, Seligman, Kuhn et Loeb). A la fin du XIXè siècle on trouve donc une communauté socialement mêlée, composée d’ouvriers, d’artisans, de boutiquiers mais aussi de « cols blancs » :  des comptables, des courtiers, des hommes d’affaires, des médecins, des juges, des universitaires, des personnalités politiques, des intellectuels, signes d’une ascension sociale plutôtr apide..

Même si cette communauté peu à peu « s’américanise », elle n’abandonne pas pour autant son identité juive. Le yiddish ou l’allemand sont parlés à la maison et l’anglais à l’extérieur. On établit des synagogues, des cimetières, on se constitue en congrégations. Dans les grandes villes on vit dans des quartiers juifs on crée des sociétés de secours aux pauvres qui imitent les loges maçonniques, comme le B’nai B’rith* ou la YMHA*, plus tard l’American Jewish Committee* et en 1914 le « Joint »* qui aideront les Juifs d’Europe centrale et orientale à la fin du XIXè siècle.

On remarque aussi que plus ces Juifs s’intègrent et réussissent socialement, plus ils vont être rejetés par la bourgeoisie américaine protestante qui exprime son antisémitisme de manière plus insidieuse qu’en Europe, surtout à partir des années 1880 : exclusions de clubs, d’hôtels, d’écoles privées, de ligues huppées. Pendant la guerre de Sécession les Juifs se répartissent comme les autres Américains dans les deux camps et on les accuse d’être des profiteurs.
A la suite de l’abolition de l’esclavage en 1865, l’antisémitisme passe au second plan derrière le racisme anti-Noirs.

3  Le Réformisme

Que devient la religion juive dans ces communautés? Sous la double pression des premiers immigrants célibataires désireux de s’intégrer rapidement et de l’arrivée des bourgeois réformistes allemands soucieux de s’intégrer en ressemblant aux Wasp*, le rapport à la religion évolue considérablement. Elle se dépouille de ses éléments traditionnels pour se parer de modernité. De la tradition on garde la pratique de la circoncision des nouveaux-nés (et pas des convertis), de la Bar Mitzvah*, l’opposition aux mariages mixtes et la solidarité avec le peuple juif où qu’il se trouve.

Première synagogue réformée Emanuel fondée en 1845 à New-York par 33 Juifs allemands

La modernité, alliée à une volonté d’imiter le culte protestant américain, entraîne des changements dans le culte : le rituel lu et chanté autrefois par l’assemblée, est effectué par le rabbin seul. Il est accompli en allemand d’abord, plus tard en anglais, parfois même le dimanche et pas le samedi; on introduit un orgue et un choeur mixte. Hommes et femmes sont réunis dans les travées et non plus séparés. Le rationalisme affiché de la Réforme conduit à considérer le Judaïsme comme propre à élever l’individu spirituellement et moralement pour l’amener à la vérité, loin des superstitions. On fait disparaître et les allusions à la diaspora comme punition et exil, et les prières pour la reconstruction du Temple et le retour des Juifs en Palestine.

Concrètement ces changements radicaux ne vont pas sans difficultés.Les rabbins arrivés nouvellement comme Max Lilienthal (en 1845), Isaac Wise (1846), David Einhorn (1855) ou Samuel Adler (1875) s’opposent aux congrégations installées et construisirent leurs propres temples.

En une quarantaine d’années les Juifs réformés ont pris des distances irréversibles avec les normes millénaires de leurs ancêtres et provoquent une violente hostilité des milieux orthodoxes. qui commencent à réagir à la fin du siècle en se groupant dans des associations conservatrices. Ces juifs conservateurs verront leurs rangs considérablement grossir grâce à l’arrivée massive, dès 1881, de leurs coreligionnaires d’Europe orientale profondément traditionalistes.

Au-delà des divergences entre ces deux camps, on constate qu’à la fin du XIXè siècle, aux Etats-Unis, comme ailleurs dans le monde occidental, pour toutes les religions, le taux de religiosité atteint son point le plus bas sous les effets conjugués du rationalisme positiviste, du socialisme et aussi de l’athéisme. Le Judaïsme ne sera pas épargné.

SOURCES

Nathan Glazer : les Juifs américains du XVIIè siècle à nos jours (Calmann-Lévy 1972)
André Kaspi : les Juifs américains (Plon 2008)

NOTES

1 B’nai B’rith : Fondée en 1843 par des Juifs allemands, 1ère organisation juive calquée sur les loges maçonniques. Elle récolte des fonds pour secourir d’abord les juifs américains puis ceux du monde entier qui ont besoin d’aide. Aujourd’hui c’est une ONG de 500 000 personnes réparties dans plus de 50 pays. Elle intervient à l’ONU, l’Unesco, le Conseil européen.

2 American Jewish commmittee (1906) et American Joint (1914) : organisations juives humanitaires regroupant toutes les composantes juives américaines pour défendre le droit des Juifs dans le monde entier et leur porter secours.

3 WASP : White anglo-saxon protestant. Archétype du bon Américain descendant des immigrants européens du nord et de l’ouest.

4 Bar mitzvah : majorité des garçons juifs à 13 ans, par extension cérémonie lors de ce rite de passage. Dans les synagogues réformistes, depuis les années 50, les filles de 12 ans accomplissent aussi ce rite sous le nom de Bat mitzvah.

 

 

 

Ce contenu a été publié dans antisémitisme-racismes, histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *