Rassemblement contre l’antisémitisme et le racisme, 14 février 2021

En mémoire d’Ilan Halimi, jeune employé juif d’un magasin de téléphonie sauvagement assassiné l y a 15 ans (1), le Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR) et l’association Mémorial 98, ont appelé, le 14 février dernier, à un rassemblement contre l’antisémitisme et le racisme, au square Ilan Halimi, à Paris.

Malgré la pandémie et le froid, plus de 200 personnes, parmi lesquelles beaucoup de jeunes, ont assisté à cette commémoration.. Sous la bannière du Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes, les photos de dix adultes et enfants tués en France «parce qu’ils étaient juifs», dont les victimes de l’école Ozar Hatorah à Toulouse et celles de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes.

Ce rassemblement n’a pas été une célébration de plus parmi tant d’autres. Il est important pour plusieurs raisons.

La première est qu’il met un terme à des débats oiseux pour savoir si ces assassinats sont des crimes ordinaires ou doivent être qualifiés d’antisémites. Pour Ilan Halimi en 2008, comme pour Sarah Halimi en 2017 (2), ou pour Mireille Knoll en 2018 (3), les enquêtes de police et les commentaires de presse, de gauche comme de droite, avaient beaucoup tergiversé sur cette question, préférant d’abord parler de crimes crapuleux.

L’un n’empêche pas l’autre ou plutôt l’un s’accroche à l’autre. Le procès du « gang des barbares » qui ont séquestré, torturé et tué Ilan Halimi pour extorquer une rançon, est pour cela éclairant : ils ne connaissaient rien de lui, sinon qu’il était juif, et donc «forcément riche».
Le cliché du Juif assis sur un tas d’or est toujours actif et vecteur du crime, mais il est difficile d’entendre qu’en France, pays des droits de l’homme, l’antisémitisme n’a pas disparu, tapi dans l’invisible, se manifestant plutôt par des silences ou par l’indifférence.

Les assassins des petits élèves et enseignants de l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse (4), comme ceux du magasin Hyper Cacher de l’est parisien (5), cultivaient des motivations d’un autre ordre tout aussi révoltantes, crimes commis en référence aux conflits du Moyen Orient, avec en toile de fond , les Juifs, même les enfants, représentés comme cibles légitimes pour combattre les puissances mondiales au nom d’un djihadisme islamique.

Mais cela suffisait-il pour considérer qu’il s’agissait de crimes liés à des conflits extérieurs qui ne concernaient pas l’ensemble de la nation ? Pour les parents et enfants de l’école Ozar Hatorah, les foules ne sont pas descendues dans la rue et les morts de l’Hyper Cacher doivent l’importance des manifestations de solidarité à ceux de Charlie.

Les stéréotypes antisémites, racistes et discriminants peuvent servir à de multiples mauvaises causes

Les motivations des assassins d’Ilan Halimi ou de la petite Myriam Monsonégo sont différentes, mais la haine est la même. Les stéréotypes antisémites – les Juifs sont riches, ils manigancent et complotent dans l’ombre, ils veulent dominer le monde – sont porteurs de projets criminels et peuvent fonctionner au service de multiples mauvaises causes. L’antisémitisme tue.

Les Juifs ne sont pas les seuls boucs émissaires possibles, d’autres stéréotypes pullulent dans les diverses formes de racisme, contre les Arabes, les Noirs, les Roms, les immigrés….

Ce rassemblement est important aussi parce qu’il a pu réunir des associations luttant contre le racisme sous d’autres formes ou sur d’autres terrains.

De nombreux autres groupes ou associations luttant traditionnellement contre le racisme ont été conviés et ont participé à ce rassemblement, comme la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), le Mouvement     contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), la Fondation Copernic, des organisations de gauche et d’extrême gauche, l’assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie (ACORT) et des groupes plus récents comme le Comité Adama qui dénonce le racisme dont sont victimes les jeunes des quartiers pauvres, souvent noirs ou arabes, morts à la suite de violences policières.

Ainsi, après les parents et les proches des victimes juives, des proches de jeunes gens morts dans le cadre d’une interpellation policière ont pu à leur tour rappeler le souvenir de leur fils ou de leur frère, exprimer leur peine et leur besoin de justice.

A la demande expresse des organisateurs, aucun drapeau national n’était brandi.

Et c’est là l’aspect le plus important de ce rassemblement : loin des « concurrences mémorielles » qui ont longtemps opposé des actions à visée identitaire, c’est un sentiment d’urgence devant la montée des périls qui semble dominer, l’évidence des problèmes communs et la conscience des luttes à mener : contre des idées toutes faites répandues dans l’inconscient de la langue, contre des formes souterraines de dénigrement et d’exclusion, contre des repliements identitaires meurtriers, contre des discriminations invisibles à l’oeuvre dans les institutions et la vie quotidienne.

En référence à ce rassemblement, l’économiste Thomas Piketty a publié dans Le Monde un article invitant à la création d’un organisme permettant de voir et combattre les discriminations (6) :
« Pour assumer la réalité du racisme et se donner les moyens de le corriger, nous manquons d’un véritable Observatoire des discriminations qui objective les faits et en assure le suivi annuel »

Nous avons participé, Marianne et moi, à ce rassemblement , à l’appel de la Ligue des droits de l’homme et de l’association Mémorial 98

*****

notes

(1) Ilan Halimi.  <https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_du_gang_des_barbares>

(2) Sarah Halimi <https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sarah_Halimi>

(3) Mireille Knoll <https://fr.wikipedia.org/wiki/Meurtre_de_Mireille_Knoll>

(4) Victimes de l’école Ozar Hatorah : le rabbin et professeur de l’école, Jonathan Sandler âgé de 30 ans, ses deux jeunes fils, Gabriel, 3 ans, et Arié, 6 ans, la petite Myriam Monsonégo, 8ans.
<https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_de_mars_2012_en_France>

(5) Victimes du magasin Hyper Cacher / Yohan Cohen, 20 ans, Philippe Braham, 45 ans, François-Michel Saada, 64 ans, et Yoav Hattab, 21 ans.
<https://fr.wikipedia.org/wiki/Prise_d%27otages_du_magasin_Hyper_Cacher_de_la_porte_de_Vincennes>

(6) Comme exemple de moyen de connaissance des discriminations, Thomas Piketty signale cette étude, en regrettant qu’elle n’ait pas été renouvelée depuis 2014 :
« Dans une étude conduite en 2014 sous l’égide de l’Institut Montaigne, les chercheurs ont envoyé des faux CV à des employeurs en réponse à quelque 6 231 offres d’emploi et ont observé les taux de réponse sous forme de proposition d’entretien d’embauche. Dès lors que le nom est à consonance musulmane, le taux de réponse est divisé par quatre. Les noms à consonance juive sont également discriminés, quoique moins massivement. »

Ce contenu a été publié dans antisémitisme-racismes. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *