Les Juifs d’Italie (1) : de l’Empire romain à 1492

On pense généralement que les Juifs italiens constitueraient un cas particulier dans la diaspora juive caractérisé par une intégration relativement harmonieuse à la société qui les entoure, dans une continuité qui étonne dans l’histoire tourmentée juive. Mais une

Dans une synagogue vénitienne à l’ère médiévale

continuité faite de déplacements, de migrations, de brassages. C’est pourquoi ils ont une histoire très complexe en dépit de leur nombre restreint (jusqu’à 50 000 personnes au maximum dans la Péninsule), du fait d’une part de leurs origines très diverses (Italiens d’origine appelés Italkim ou Bene Roma, Ashkénazes venus d’Allemagne, de France ou d’Angleterre, Sépharades venus d’Espagne, Romaniotes* des Balkans et de Grèce), d’autre part du morcellement de la Péninsule (jusqu’au Risorgimento* en 1871) où leur sort est conditionné au le pouvoir local et aux invasions (Papes, rois, princes, ducs, Républiques), enfin de l’empire colonial italien (Lybie, Dalmatie, Rhodes) et de la présence de nombreux Italiens en Tunisie.

1 de l’Antiquité jusqu’en 476   

Catacombe juive via Appia à Rome

La présence de la plus ancienne communauté juive occidentale est antérieure à -139 date à laquelle des Juifs d’Alexandrie établis à Rome sont expulsés pour prosélytisme. Au premier siècle avant JC, le général Pompée soumet la Judée lors de la guerre de 63-62, en ramène de nombreux prisonniers juifs à Rome qu’il libère aussitôt. La communauté s’agrandit. De façon générale les 30 à 40 000 Juifs installés en Italie (surtout à Rome) jouissent d’un statut de citoyen romain, renforcé ou affaibli selon les Empereurs jusqu’à la conversion au Christianisme de Constantin au IVè siècle ap.JC. Durant plus de trois siècles ils observent librement leur culte, construisent de nombreuses synagogues (12 à Rome). Ils parlent le grec ou l’araméen. Certains sont des négociants et des artisans prospères, mais beaucoup sont pauvres.  Même si Vespasien et son fils Titus,

Détail de l’Arc de triomphe de Titus 81 ap.JC

qui ont vaincu la Judée (guerre de 66-73), imposent un impôt, le « fiscus judaïcus », même si plus tard Hadrien (76-138) interdit la circoncision et décide de construire une colonie romaine à Jérusalem en édifiant un temple de Jupiter à la place de l’ancien Temple des Juifs, provoquant la révolte de Bar Kokhba (132135)*,  même si de nombreux intellectuels romains comme Cicéron (1er siècle av JC), Sénèque ou Tacite (1er siècle ap JC) leur sont hostiles, les Juifs sont assez bien intégrés et provoquent même des conversions de Romains (par exemple celle de Poppée, épouse de Néron). Dans l’ensemble les Romains de l’Antiquité sont relativement indifférents aux Juifs, ils se « contentent » de préjugés à propos de la religion : shabbat associé à l’oisiveté, circoncision à la castration etc.
Cependant, du règne de Constantin (272-337) qui se convertit au Christianisme, jusqu’à la chute de l’Empire romain d’occident (476), les Juifs sont de plus en plus marginalisés. Ils ont une relative autonomie administrative mais sont exclus des charges publiques et interdits de mariage mixte. Etablis au départ dans le nord de l’Italie, à Rome surtout, ils investissent quelques villes du sud et de la Sicile.

2 Au Moyen Âge (476-1492)

Les Juifs italiens habitent principalement de grandes villes du Nord, Rome, Milan, Ravenne. Entre les Vè et Xè siècles ils s’établissent aussi dans des ports comme Trani, Bari ou Otranto dans les Pouilles. Inversement des rabbins de Lucques en Toscane se rendent en Rhénanie à la demande de Charlemagne (VIIIè siècle) et créent les premières communautés ashkénazes, rejoignant ceux qui dès 321 étaient partis de Rome vers la Germanie, une colonie romaine.
Des Juifs romaniotes venus des Balkans et de Grèce se fixent en Vénétie au XIè siècle, attirés par l’enseignement rabbinique.
Entre les XIè et XIIIè siècles beaucoup prospèrent dans le commerce de la soie dans le Sud et en Sicile.
Au XIVè siècle, des Juifs rhénans affluent en Vénétie, poussés par la précarité consécutive à la peste de 1348 et attirés par des perspectives économiques. Ils apportent avec eux leur mode de vie plus rude et leur langue, le yiddish. D’autres venus du sud de l’Italie se rendent dans les mêmes régions du Nord. Beaucoup deviennent, par un contrat avec la ville d’exercice, « la condotta », banquiers ou

Paolo Ucello
Prédelle de la profanation de l’hostie tableau 1 (1465-70)
Une femme échange une hostie contre de l’argent d’un usurier juif

tableau 2
L’usurier et sa famille sont brûlés sur un bûcher

prêteurs sur gage, métier réservé aux Juifs. Ces deux groupes sont rejoints par des Juifs de France, surtout de Provence et de Savoie, expulsés en 1306 par Philippe le Bel et en 1394 par Charles VI, qui s’installent dans le Piémont (Asti, Moncalvo…) et qui observent la liturgie ashkénaze toujours à l’oeuvre aujourd’hui. A la fin du XVè siècle les Juifs d’italie se répartissent dans toutes les plus grandes villes du Nord, principalement en Vénétie et dans le Piémont.

A la faveur de l’imprimerie, métier interdit aus Juifs en Allemagne mais autorisé en Italie, les imprimeurs comme les Soncino diffusent la Bible hébraïque et le Talmud en hébreu et en yiddish puis dans les langues vernaculaires d’ Europe. Ils éditent aussi des livres

Psaumes

profanes de grands savants, médecins, poètes, géographes, en yiddish, en judéo-italien et en italien. L’intégration des Juifs venus d’Allemagne à la société des Juifs italiens d’origine puis à la société italienne dans son ensemble se fait rapidement et la grande culture des intellectuels et rabbins ashkénazes augmente le niveau d’étude de tous.
Cette richesse et cette effervescence culturelle ne vont pas sans hostilité selon les régimes politiques des régions et les époques. Tantôt les Papes protègent « leurs Juifs du Pape » à Rome et en France dans le Comtat venaissin et en Avignon, tantôt ils les pourchassent, en leur imposant la rouelle* et, à partir du XIIIè siècle, en les forçant à se convertir sous peine d’être expulsés par les tribunaux de l’Inquisition. On retrouve dans

Piero della Francesca
La légende de la vraie croix (1452-1466)
Torture de Judas extirpé du puits

ces périodes les préjugés antijudaïques présents dans le reste de l’Europe. Par exemple accusés de crimes rituels la moitié des Juifs des Pouilles, soit 7000 personnes, sont contraintes à la conversion (1266-1295). Des pogroms ont lieu à Modica en Sicile en 1474, à Trente en 1475 sous l’impulsion des Franciscains.

A l’aube des temps modernes on constate que les Juifs italiens ont accueilli avec aménité leurs coreligionnaires ashkénazes venus d’Allemagne. En peu de temps ils forment une communauté soudée, plutôt à l’aise économiquement, Leur grande culture scientifique et artistique rayonne et accompagne les bouleversements historiques et culturels de la Renaissance qui débute comme on le sait en Italie.

 

NOTES

Juifs romaniotes : juifs grecs ou de culture grecque

Risorgimento : mouvement de l’unification italienne 1848-1871

Révolte de Bar Kokhba : seconde insurrection des Juifs de Judée contre les Romains entre 132 et 135, sous Hadrien. Les Juifs sont vaincus, Jérusalem est rasée et reconstruite en ville romaine d’où sont exclus les Judéens, expulsés vers la Galilée.

rouelle : petite pièce d’étoffe souvent ronde (roue) et jaune cousue sur le vêtement, imposée comme signe distinctif aux Juifs à partir du XIIIè siècle .

SOURCES

article wikipedia Histoire des Juifs en Italie

 

 

 

 

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1 réponse à Les Juifs d’Italie (1) : de l’Empire romain à 1492

  1. Guignot dit :

    Très intéressant.
    Je ne connaissais pas la rouelle.
    Déjà l’étoile jaune…

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