Partager la publication "Colloque du 7 décembre 2024 : Israël, sortir de l’impasse? (en Israël ou en France)"
A l’initiative De J Call* et de la Paix maintenant*, s’est tenu un colloque d’une journée à la mairie du XIè arrondissement de Paris. Sont intervenus Gilles Kepel, Denis Charbit (politistes), Hagit Ofran (ONG Shalom Archav*), Raphaël Zagury-Orly (philosophe), Eva Illouz (sociologue), Laurent Joffrin (journaliste), Sébastien Lévi (J Street*), Jonas Pardo (fondateur de Golem*), Fanny Arama (Golem) et Nava Hefetz ( rabbine israélienne, activiste des Guerrières de la paix*), Ayman Odeh, (député palestinien à la Knesset) et Yaïr Golan (député israélien, chef du nouveau parti Hademocratim, Les Démocrates*).
Dans ce compte-rendu, je passerai rapidement sur l’intervention de Gilles Kepel qui portait sur la Syrie. Le 7 décembre le pouvoir syrien n’avait pas été totalement renversé. Gilles Kepel a rappelé toutes les conditions qui ont facilité la chute du régime : 7 octobre et ses conséquences : affaiblissement de « l’axe de résistance iranien » (Hamas, Hezbollah, fragilisation des Houthis du Yémen), Russes en Ukraine, armée loyaliste syrienne « clochardisée » par le régime. La Russie et l’Iran ont abandonné Assad. Enfin les états du Golfe se sont rapprochés d’Israël et semblent poursuivre sur cette lancée. Kepel décrit l’irrésistible ascension d’Ahmed al-Chara (ex al-Joulani) homme fort de la nouvelle Syrie.
Les autres intervenants analysent la situation israélienne et ses répercussions sur les Juifs de France, qu’ils se disent appartenir à la »communauté » ou non.
Denis Charbit rappelle les conditions de l’arrivée au pouvoir en 2022 de la coalition d’extrême droite religieuse autour de Benjamin Netanyaou. Le 7 octobre qui a mené à cette guerre interminable contre Gaza a arrêté les manifestations contre le loi sur la Cour suprême et mis le pays en ordre de bataille. La question des otages a été reléguée. Se met en place aujourd’hui « un acharnement législatif illibéral » qui risque d’éloigner Israël de l’Europe et provoquer le départ des élites.
En video Hagat Ofran rappelle la grande violence des colons de Cis-Jordanie que le ministre Smotrich alimente en argent et en armes. Leur but est de chasser tous les Palestiniens et de recoloniser Gaza dans un projet messianiste.
Le philosophe Raphaël Zagury-Orly abonde dans ce sens. L’emprise messianique a envahi le Likoud et menace la démocratie israélienne. Héritiers de la pensée du rabbin Kook*, les ultra-orthodoxes au pouvoir veulent continuer la guerre (qu’ils ne font pas!) pour s’approprier les terres bibliques. Cette guerre contre le Hamas nommée « Epée de fer » devient pour eux une croisade de « renaissance finale ». Le 7 octobre est assimilé à un « miracle joyeux ». Dans l’espace public se répand la distinction entre les Vrais Juifs et les Faux (habitants modernes de Tel Aviv, héritiers de la Haskalah* des Lumières). Est instaurée une concurrence théologique entre le Judaïsme et l’Islam. Mais, dit le philosophe, il ne faut pas oublier les sionistes religieux de gauche qui ont leur rôle à jouer. La diaspora doit les soutenir et réfléchir à un Judaïsme humaniste. En outre, ne pas s’illusionner sur la Cour Suprême: si elle pourrait s’opposer aux projets de lois sur la justice, en revanche elle ne fera rien contre la colonisation qu’elle a plus souvent légalisée que condamnée.
Eva Illouz vient de publier 8 octobre: généalogie d’une haine vertueuse. Elle d’ordinaire combative et mesurée dans ses analyses se dit effondrée par ce qu’elle a perçu dans le monde et surtout en France dès le 8 octobre alors que la guerre à Gaza n’avait pas commencé. A savoir une ambiance antisémite chez de nombreuses élites de gauche, à l’Université, et le fait que LFI ait fait du conflit du Proche Orient la centralité de ses campagnes aux élections. Héritière d’une longue tradition antisioniste,(sauf au moment de l’affaire Dreyfus et à la fin de la Seconde guerre), une certaine gauche française, dans une doxa souvent simpliste et ignorante de la question israélo-palestinienne, ne reconnaît pas le droit des Israéliens à avoir un état, le considérant acquis à l’origine par la colonisation de terres. Cette thèse est renforcée par la réflexion « décoloniale » menée dans de nombreux cercles à l’extrême gauche, politiques ou universitaires. Les Juifs de France se retrouvent sommés de choisir leur camp, d’autant plus que le gouvernement actuel israélien instrumentalise à son profit tout antisionisme européen ou américain. Eva Illouz déplore aussi la rapidité de l’ONU et de la CPI à déposer des plaintes, alors que ces institutions ont tardé longtemps à aider par exemple les Tutsis au Rwanda. Et se taisent sur d’autres anéantissements (Soudan, République du Congo etc.). Ces accusations actuelles contre Israël, dit-elle, font remonter des antisémitismes anciens « du Juif versant le sang » et responsable de tout, du Covid, de la mondialisation, du climat etc. Que doivent faire les Juifs « de gauche » français si désorientés? Combattre LFI et consorts quand leur antisionisme devient antisémite; combattre la droitisation de « la communauté » juive de France qui s’aveugle sur Netanyaou et sur le philosémitisme de l’extrême droite française; établir des ponts en France entre juifs et musulmans modérés, et des liens avec la gauche démocrate israélienne et les démocrates des pays arabes. Cela dit, elle reste très pessimiste.
Laurent Joffrin pense que la gauche française a longtemps été universaliste (SOS racisme, marche des Potes, manifeste contre le voile au Nouvel observateur). Cette situation a évolué depuis une quinzaine d’années. On remet en cause l’universalisme inopérant dans les banlieues, on met en avant l’identité avant la pensée, on hiérarchise les victimes. Israël devient l’archétype du colonialisme. Plus optimiste qu’Eva Illouz, il estime que les « décoloniaux » sont minoritaires, que LFI ne représente que 10% de l’électorat. Mais il existe un fossé générationnel fort sur ces questions en France et aux USA. Et il rappelle que la démocratie et la solution à deux Etats sont des questions de survie pour Israël.
Sébastien Lévi, qui habite New York, nous parle des Juifs américains très majoritairement démocrates et sionistes, mais qui critiquent, surtout les jeunes, de plus en plus le gouvernement israélien qui, de son côté, ne se gêne pas pour attaquer la diaspora. Jonas Pardo, fondateur de Golem, se dit d’extrême gauche; mais profondément choqué par les attentats de 2015, il dirige des sessions sur les réflexes antisémites à gauche, auprès des militants car il a été effaré des réactions de certains exprimant de la compassion envers les terroristes islamistes et non envers les victimes, en janvier 2015 ou après le 7 octobre 2023. Fanny Amara rappelle les conditions de naissance de Golem. Nava Hefetz* oeuvre pour la réconciliation des Juifs israéliens et des Palestiniens sur le terrain avec des rabbins libéraux et dans les Territoires occupés avec Anna Assouline*.
Je finirai par les interventions en video d’Ayman Odeh et de Yaïr Golan. Le premier, député arabe, évoque la complexité des statuts de citoyenneté et de nationalité* en Israël. Il faut trouver une solution à deux états pour 7,5 millions de Palestiniens et 7,5 millions de juifs israéliens. Car les deux peuples ont perdu la guerre (cf le livre de Jean-Pierre Filiu*). Il est paradoxalement assez optimiste.
Yaïr Golan, député démocrate, représente l’espoir de la gauche israélienne. Netanyaou est, dit-il, dominé par Ben Gvir, Smotrich et les rabbins orthodoxes. L’absence longue de négociations pour les otages est un crime. Une partie de la société israélienne est devenue méfiante envers le gouvernement, l’armée et le Mossad. Il faut deux états, garder les Palestiniens israéliens qui veulent rester et évacuer les colonies au risque d’une guerre civile. Il voudrait que le parti travailliste soit rejoint par le parti arabe, le centre et le reste de la gauche. Et faire avec le Meretz* une coalition majoritaire à la Knesset aux prochaines élections. En 2026? ou avant?
Selon moi, à écouter ces Juifs attachés à la gauche démocrate, que ce soit en France, en Israël ou aux USA, on se sent un peu moins seul(e). Mais même pour les plus optimistes des intervenants qui ne sont pas majoritaires, les solutions semblent si hypothétiques et si lointaines, malgré l’accord de trêve rendant possible le retour d’otages. Pour retrouver un peu d’espoir je vous conseille de regarder le film Résister pour la paix .
SOURCES
Colloque du 7 décembre 2024
NOTES
JStreet : groupe de pression américain fondé en 2008, qui promeut une paix équitable au Proche orient. A entraîné la fondation du groupe JCall en Europe.
Shalom Archav : ONG israélienne fondée en 1978 par 300 officiers de réserve israéliens et des écrivains comme Amos Oz et David Grossman. Classée à gauche, elle milite pour la paix et une solution à deux états. La Paix maintenant est sa correspondante en France.
Golem : groupe de militants juifs de gauche créé au départ pour s’opposer à la présence de l’extrême droite dans la manifestation du 12 novembre 2023 contre l’antisémitisme.
Guerrières de la paix : mouvement de femmes créé en 2022 par Anna Assouline, qui revendique paix, justice et égalité par des actions sur le terrain, en lien en particulier avec des activistes israéliennes et palestiniennes. Elles ont produit le documentaire Résister pour la paix visible sur TV Public Sénat.
Nava Hefetz : rabbine israélienne militant avec l’ONG Rabbis for human rights et les Guerrières de la paix.
Avoda : parti travailliste israélien.
Meretz : parti plus à gauche. Les deux ont fusionné en juin 2024 pour créer le parti Hademocratim.
Abraham Kook (1865-1935) : né en Lettonie, talmudiste et kabbaliste, héritier du grand Judaïsme médiéval : c’est une figure centrale du Judaïsme non hassidique d’Europe de l’est, opposé au mouvement de la Haskalah. Il sera le premier grand rabbin de Palestine, à Jaffa où il arrive en 1904 puis à Jérusalem en 1919. Bien que très imprégné de culture traditionnelle, il s’oppose aux orthodoxes antisionistes, en prônant un sionisme religieux, adapté à la nouvelle vie des Juifs en Israël, dans les écoles qu’il crée. Il oriente également le sionisme religieux vers le messianisme. Son fils Yehuda Kook (1891-1982) poursuit son enseignement qui est récupéré et radicalisé depuis la guerre des Six jours par les sionistes ultra-nationalistes.
Haskalah : mouvement de pensée juif des 18è et 19è siècles, inspiré par les Lumières, qui promeut une religion séculière moderne. « Juif à la maison, citoyen au-dehors ».
Citoyenneté/Nationalité en Israël : voir article de Maclarema
JP Filiu : Comment la Palestine fut perdue
Et pourquoi Israël n’a pas gagné (Seuil, 2024)
Merci, Reine, de ces deux articles, qui m’invitent pour le premier à visionner le film que tu indiques et pour le second à lire ce livre de Yee Yaron. C’est aussi en multipliant lectures et documents de toutes sortes que nous ne laisserons pas la part belle à tous ceux qui n’ont que mépris pour les faits pour leur préférer les vérités alternatives et les mensonges. Avec ces deux articles, le rappel des faits historiques est sans aucun doute la meilleure réponse que nous pouvons faire. Un grand merci! isa