Le Déserteur (The vanishing soldier) : film israélien de Dani Rosenberg (2024). Cours, Schlomi, cours!

Cela faisait longtemps qu’un film israélien de cette importance ne nous était parvenu en France. L’histoire, dont le début est autobiographique, d’un soldat israélien désertant la bande de Gaza en 2006 est venu percuter l’actualité à sa diffusion au festival de Pusan (Corée du Sud) le 8 octobre 2023. Comme le dit son réalisateur « Mon film s’est écrasé sur le mur de la réalité » (article du Monde). Voir le soldat  du film arriver au poste de frontière par lequel le Hamas est entré le 7 octobre est  rétrospectivement terrifiant.
Lors de l’opération « Pluies d’été »* de 2006, Schlomi (Ido Tako), jeune appelé de 18 ans de l’unité d’élite Golani*, « disparaît » de son bataillon à Gaza et se rend clandestinement à Tel- Aviv pour voir sa « fiancée » Shiri, cuisinière dans un restaurant branché, et la persuader de renoncer à son départ pour le Canada. C’est le début d’une cavale énergique mais cauchemardesque car sans échappatoire, qui l’entraîne chez ses parents, chez sa grand-mère, sur la plage, à l’hôpital où son père est soigné, au restaurant de Shiri,  pour finir dans la solitude nocturne des faubourgs de Tel Aviv. Les militaires pensant qu’il a été enlevé ou tué par le Hamas, déclenchent une riposte sanglante contre Gaza. La fin ouverte trouble et fait réfléchir.

Subtilement Dani Rosenberg ne fait pas un film  idéologique de dénonciation frontale de la guerre portée par Israël, de son gouvernement et des autorités militaires. Il procède par touches successives qui se révèlent autant burlesques que grotesques ou dramatiques. Son anti-héros, sorte de rebelle sans cause, déserte pour vivre sa vie de jeune homme amoureux, sans mesurer, du moins au début, les conséquences de ses actes. Tel Charlot, il saisit toutes les occasions pour se sauver, à pied, en bus, en vélo, toujours avec son arme en bandoulière*. En costume militaire, puis civil (volé à des touristes français sur la plage), il continue « de faire le soldat » incognito dans la ville, courant, se cachant, grimpant , cachant arme et vélo pour les reprendre, épiant ses « ennemis » (les autorités militaires à l’ hôpital). En même temps il veut « dévorer » la vie à pleines dents. Nulle idée politique ne prévaut en lui, mais sa disparition, malgré lui, déclenche une situation absurde qui deviendra tragique. La cavale de Schlomi permet au réalisateur de montrer en filigrane la réalité refoulée de la guerre en Israël. Pendant que de très jeunes soldats côtoient l’horreur en risquant leur vie à Gaza, les autres Israéliens de Tel Aviv continuent de faire la fête et de discourir théoriquement sur la guerre. Mais ce pays est aussi une sorte de prison dorée, car les alertes aux roquettes se multiplient et la fête est sans cesse interrompue. Les nouvelles alarmantes en boucle à la télévision, les sirènes hurlantes, créent un décalage avec ce paradis illusoire. Ces scènes rappellent celle où le soldat  du film Valse avec Bachir* revient à Tel-Aviv en permission. Les plans heurtés suivent en permanence Schlomi sur fond de batterie jazz martelée. Sa pulsion quasi puérile se définit dans un rythme rapide. Les expressions de son visage changent en permanence et reflètent des états contradictoires. Ses regards face caméra nous interpellent dans leur candeur.
Le décalage et le burlesque permettent au réalisateur de se moquer et de critiquer les institutions. En fait Schlomi devient, à son insu, le symbole de son peuple et un instrument de guerre : il faut « sauver le soldat Schlomi », donc déclencher une riposte.

Dani Rosenberg a mis 10 ans à financer son film qui a trouvé sa place dans les festivals de Locarno et Pusan et sort en salles … mais pas en Israël pour cause de guerre. L’auteur par ce regard de côté livre ici un film subtil et décalé sur la noirceur du conflit israélo-palestinien qui fauche des appelés en pleine jeunesse, sans pathos. Il dévoile avec intensité ce moment où tout peut basculer dans la tête d’un soldat. Une ode à la jeunesse de tous les pays confrontée à l’absurdité des aînés. Et de dénoncer par ce biais inédit l’inanité des politiciens de son pays.

Film en salles à Paris et en régions

NOTES

Opération Pluies d’été (2006) : première opération terrestre d’Israël à Gaza en raison de l’enlèvement du soldat  Gilad Shalit  en juin 2006 par des commandos islamistes Al Qassam. Ce soldat ne rentrera chez lui qu’en octobre 2011 en échange de milliers de prisonniers palestiniens.

Unité Golani : brigade d’infanterie d’élite du commandement nord (Golan), une des plus décorées de l’armée israélienne.

Arme en bandoulière : un soldat ne doit jamais se séparer de son arme sous peine d’emprisonnement. On voit ici que Schlomi suit cette règle, parfois jusqu’à l’absurde.

Valse avec Bachir d’Ari Folman : voir article du blog 

 

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