Partager la publication "Montée en puissance des ultras religieux en Israël"
Rédigé par Reine
Aujourd’hui un Israélien sur 10 est ultraorthodoxe (soit environ 900 000 personnes contre 400 000 en 1990) et cette communauté gagne chaque jour en nombre et en influence à tel point que les Israéliens laïcs ont le sentiment d’être minoritaires dans certains endroits, surtout à Jérusalem où l’on en compte plus de 200 000. Quelles répercussions pour le pays et sa politique actuelle ?
Rappel historique L’orthodoxie juive, gardienne de la tradition hébraïque, naît en Europe de l’est à la fin du XVIIIè siècle pour contrecarrer l’extension de la modernité née en Allemagne à la fin du XVIIè, qui propose une adaptation de la halakha (loi juive) au temps et au lieu de vie, en langue vernaculaire. Ces traditionalistes s’opposent aussi, à l’intégration, a fortiori à l’assimilation, des juifs à leur société mais aussi, par leur messianisme*, au sionisme naissant, donc à l’établissement d’un Etat juif en Palestine (comme on le nommait à l’époque). Les Haredim (les « craignant Dieu ») viennent de Pologne et de Russie et quelques centaines de survivants émigrent après-guerre aux USA, au Canada, en Europe de l’ouest et paradoxalement en Israël. En 1948 le Premier ministre Ben Gourion, bien que laïc, accorde des privilèges à quelques centaines d’ orthodoxes : l’exemption du service militaire* et des subventions qui leur permettent d’étudier la Torah sans avoir à travailler. En 1977 le Likoud (parti de droite) généralise ces privilèges à tous les ultras-orthodoxes malgré une démographie galopante et les soutient en outre pour leurs logements, leurs écoles ou leurs prêts bancaires. Ce qui ponctionne fortement les finances.
- les laïcs, soit athées soit pratiquants très occasionnels pour lesquels la religion relève de l’espace privé. Ils appartiennent plutôt à la classe moyenne et supérieure ashkénaze
- les pratiquants, traditionalistes ou pratiquants orthodoxes stricts, qui viennent plutôt des milieux séfarades et qui vivent au milieu de la société.
- les ultras-orthodoxes, de différentes obédiences, qui vivent à part de la société israélienne, en Israël ou dans les territoires de Cisjordanie, sionistes ou non. Ils sont concentrés à Jérusalem, Bnei Brak au sud de Tel-Aviv, à Ashdod, Safed et Tibériade et dans les Territoires à Betar Illit et Modin Illit surtout mais aussi dans d’autres colonies ou « avant-postes », non reconnus par l’Etat, dans la zone C. Ils ont leurs quartiers, leurs magasins, leurs écoles, leurs plages…et surtout leurs rabbins qui les guident en tout. La Torah et ses 613 commandements sert de Constitution et de référent juridique. Avec le temps une forte majorité a reconnu l’Etat d’ Israël et va voter (selon l’avis des rabbins), à plus de 90% pour la droite, dans la mesure où ce même Etat les subventionne et permet aux hommes de se consacrer à l’étude. Ils s’habillent en noir, à la mode polonaise du XIXè siècle, les femmes ont des tenues très « pudiques », leurs cheveux sont coupés court et recouverts d’une perruque. Les fils reçoivent très souvent un double-prénom. Les mariages sont le plus souvent arrangés. A l’inverse de la société israélienne pour qui l’égalité des sexes est une valeur fondamentale, une stricte séparation des sexes est observée, même lors de la cérémonie du mariage ! voir article En tenue d’Eve. Dans certains bus de Jérusalem les femmes doivent s’assoir à l’arrière, séparées des hommes ; à la mer elles se baignent habillées sur des plages spéciales en l’absence des hommes, ont même été créés dans certains quartiers des passages pour piétons séparés pour éviter les frôlements entre hommes et femmes dans la rue ! Quant à leur fécondité elle est bien sûr exceptionnelle, avec un taux de 7,8 enfants par femme (contre 2,9 dans le reste du pays) : car comme nous le verrons, faire des enfants est un acte politique, à tel point que des prévisions annoncent que le pourcentage d’ultras en Cisjordanie passera d’ici 8 ans de 30 à 40%. Faire des enfants pour occuper le terrain.
Quel est leur poids économique ? On pourrait penser qu’avec 23% d’entre eux qui vivent sous le seuil de la pauvreté, les ultras n’ent ont aucun. Les subventions ne suffisant pas, 30% des hommes travaillent en complément de l’étude en yeshiva et 50% des femmes en milieu professionnel non mixte dans des emplois subalternes, non prisées par les employeurs, en raison des grossesses fréquentes. Ces familles nombreuses ne respirent pas la richesse et par exemple les hommes de la communauté ultra-orthodoxe Na Nach (10 000 personnes), qui héritent d’une tradition joyeuse de danse et de chants, au son de la techno en pleine rue pour faire l’aumône
Mais leur nombre important et croissant, et le fait qu’ils prennent de plus en plus part au vote, leur donnent un poids politique certain. Ils adhèrent principalement à deux partis, le Shass rallié au sionisme (vote séfarade) et le Degel HaTorah(vote ashkénaze), ils sont représentés à la Knesset (13 sièges sur 120) et dans le gouvernement actuel certains ministres portent leur voix puisque par le jeu des coalitions ils appuient ou non un programme. voir article élections législatives Et surtout une très forte proportion d’entre eux, en s’inscrivant dans le courant sioniste religieux, rejoint les idées des ultranationalistes (droite du Likoud, parti « Israel Beytenou » d’Avigdor Lieberman, « Foyer juif » et « My Israel » de Naftali Bennett) et font de leur implantation en Cisjordanie une revendication fortement politique : la croissance démographique de 5,5% par an favorise la demande de nouvelles terres et logements pour une population de plus en plus nombreuse. Un cercle sans fin. La droite actuelle, qui ne peut se passer de leur vote, ferme les yeux sur les prises ultra illégales de territoires, y compris de ceux qui sont très éloignés de la « ligne verte » voir les cartes dans les articles sur la colonisation. On laisse agir ceux qui dégradent les mosquées et les églises (au point que le Pape s’en est ému), qui commettent des violences quotidiennes (qui en appellent d’autres du côté palestinien) ; là aussi un cercle sans fin.
Après le démantèlement des colonies à Gaza en 2005 ont émergé des groupuscules informels de colons religieux jeunes, nommés Tag Mehir « le prix à payer » ou « les jeunes des collines », basés à Yitzhar au sud de Naplouse, au nord de Ramallah ou au sud d’Hébron. Ils sont inspirés par le rabbin Meir Kahane , un israélo-américain élu député en 1984, qui a été banni d’Israël en 1988 parce que son parti le Kach, raciste et anti-démocratique, prônait l’expulsion hors d’Israël et des Territoires occupés des arabes israéliens et des Palestiniens, et qui a été assassiné à New York en 1990. Ces colons commettent des actes violents contre les Palestiniens surtout quand les autorités israéliennes s’en prennent à certains logements de colonies sauvages : arrachage d’oliviers palestiniens, bruit et menaces permanents, attaques au couteau, incendie de la mosquée Al-Moughien près de la colonie de Shilo en 2014, d’une école mixte judéo-arabe de Jérusalem en 2014. Et depuis plus d’un an ils en viennent à commettre des assassinats : un Palestinien pris au hasard brûlé vif en réponse à l’assassinat de trois jeunes israéliens auto-stoppeurs, une attaque au cocktail Molotov qui a tué une famille palestinienne à Douma le 30 juillet 2015.
Comment réagit le gouvernement actuel ? Jusqu’en juillet de cette année il a laissé faire en n’arrêtant jamais les auteurs des faits ou, s’ils sont arrêtés, en les relachant aussitôt. L’incendie de Douma et en particulier la mort du bébé a provoqué de telles réactions internationales que le premier ministre a dû intervenir par des mots, en traitant les auteurs de « terroristes juifs », et par des actes, en arrêtant des membres de Tag Mehir et en les plaçant en détention administrative, réservée jusque-là aux Palestiniens. Mais les vrais coupables courent toujours. Il est à noter que cette passivité du gouvernement se retourne contre lui puisque quelques ultras, par leurs positions racistes et homophobes, s’en prennent également aux Israéliens eux-mêmes quand par exemple l’ultra-orthodoxe Yishaï Shlissel a assassiné au couteau à Jérusalem, au cours de la Gay pride en août 2015, une jeune fille de 16 ans et blessé cinq autres personnes.
Fait qui nous renvoie bien sûr 20 ans en arrière quand un tel climat délétère et une complicité des partis de droite avec les plus ultras opposés à la paix, ont laissé advenir l’irréparable : l’assassinat du Premier ministre Rabin par un Israélien juif d’ultra droite opposé à la paix en novembre 1995.
Je ne fais que redire ce que depuis le début nous disons sur ce blog : la politique de colonisation exponentielle du gouvernement relayée par des colons religieux de plus en plus violents ne peut déboucher que sur un accroissement de la violence chez les Palestiniens, nous en avons déjà des exemples effrayants depuis septembre. Les extrémismes des deux bords se renforcent nécessairement, les voix raisonnables des deux peuples ne sont plus entendues, c’est un suicide politique incompréhensible. Je terminerai par ces quelques mots de Noa Rothman, la petite-fille de Yitzhac Rabin, prononcés lors d’une interview de la chaîne i24news : « Oui, un autre assassinat politique est possible en Israël sauf qu’en ce moment, malgré le climat actuel de violence, il manque un ingrédient essentiel dans les assassinats politiques en Israël : un plan de paix ».
Notes
*messianisme : mouvement religieux qui s’oppose au sionisme. Les messianistes pensent que Dieu a détruit le royaume d’Israël pour punir les hommes et que seul le messie, non encore advenu, peut le recréer. Par conséquent ils ne reconnaissent pas le présent Etat.
*exemption du service militaire : loi votée en 2014 et applicable à partir de 2017 qui dit que les jeunes orthodoxes devront accomplir leur service, ce qui est un sésame pour la socialisation et un emploi.
Source
Revue 6 mois n°8 (automne 2014-hiver 2015) En particulier les articles de Yishar Beer, directeur de Keshev, centre pour la protection de la démocratie en Israël et de Dror Etkes qui a dirigé le projet « observation de la colonisation » mené par l’association La Paix maintenant.
Liens
Film d’Avi Mograbi
Détail 4 (2004) : Court métrage sur l’inauguration de l’école biblique Meir Kahane à Tapu’ah, visible sur le site avimograbi.com
Films d’Amos Gitaï
Kadosh (1999),le parcours de deux sœurs au sein d’une communauté orthodoxe de Jérusalem.
The last day, sur l’assassinat de Rabin, sortie en France le 16 décembre 2015.
Commentaires