Partager la publication "De Pitchik à Pitchouk, de Jean-Claude Grumberg (1)"
Ecrivain prolifique, auteur de pièces de théâtre, romans, contes…, scénariste, Jean-Claude Grumberg est né juste avant la seconde guerre mondiale d’un père d’origine juive roumaine qui sera raflé en sa présence et déporté ainsi que les grands-parents paternels de Jean-Claude Grumberg. Ce dernier n’a que 3 ans et sera caché pendant toute la guerre avec son frère ainé. Comme c’est le cas de celle de Georges Perec, l’œuvre de Jean-Claude Grumberg est complétement imprégnée de ce traumatisme de la guerre et aussi d’un après-guerre qui a beaucoup tardé à reconnaitre la spécificité de la traque et de la déportation des Juifs.
Après La plus précieuse des marchandises publié aux Editions du Seuil début 2019, présenté comme « un conte », Jean-Claude Grumberg réitère avec De Pitchik à Pitchouk (2), dont il est précisé que c’est un conte pour vieux enfants.
« Pour obliger la mémoire infidèle à se souvenir de ce qui fut et qui n’est plus, de ceux qui furent et disparurent »
Il était une fois une vieille dame qui, seule la nuit de Noël, se ballade dans sa cheminée. Elle heurte le père Noël qui a un cadeau à livrer à une certaine Marie Joséphine Quincampoix. Erreur de cheminée. La vieille dame s’appelle Rosette Rosenfeld née Korenbacherovitch. Bien sûr un personnage de Grumberg ne peut s’appeler Quincampoix ! Le père Noël laisse le cadeau à Rosette. « Vous avez bien une petite-fille qui traine ? » lui dit-il. Le paquet contient un Babar… Et, de fil en aiguille, Rosette devient la mère Noël du père Noël du secteur Buci-Seine. Eh oui, il n’y a pas qu’un père Noël…
Au cours de ses tribulations, Rosette rencontre un vieux monsieur de 97 ans qui lui raconte une histoire : « Cela commence boulevard de Rochechouart ». Et voilà Rosette partie très loin dans son enfance : son père la photographiant avec sa mère et son frère, boulevard de Rochechouart justement, le passage des flics, la peur, le retour vers la maison. « Les étoiles ont disparu du ciel. Elles sont toutes venues mourir sur nos poitrines. »
Sur la grille du square d’Anvers, est accroché : « interdit aux chiens et aux juifs » signé : la Ville de Paris.
La maman d’une copine d’école recueille la petite : « elle pose son foulard sur mes épaules…Eclipse locale d’étoile ».
« Quelques jours après je suis à Toulouse. J’ai un autre nom mais le même prénom. Et ensuite à Moissac. Je n’ai aucun souvenir ni de Toulouse ni de Moissac »
Ce conte triste et poétique est, bien sûr comme toujours avec Jean-Claude Grumberg, constellé d’humour à l’instar de cette « mousse déchocolatée sans sucre ni chocolat avec une part de vache qui ne sait plus rire sans pleurer ».
Pitchik et Pitchouk, ce sont les villages des beaux-parents de Rosette, Baruch et Zina. L’un vient de Pitchik, l’autre de Pitchouk et ce n’est qu’à quelques kilomètres. Ils se demandent même si ce n’est pas le même pogrom qui a atteint Pitchik et Pitchouk… Baruch et Zina finiront « numérotés », comme le dit Grumberg.
Au milieu du livre, le narrateur (« soi-disant auteur ») apparait, Interpellé par une lectrice qui regrette l’incohérence du passage dans la cheminée de Madame Rosenfeld (en fait madame Rosenberg, mais qu’importe…). Pour l’incohérence, l’auteur en a vu d’autres : « ce sont tous ces noms gravés sur tant de murs et de pierre qui nous empêchèrent, madame Rosenberg et moi, de croire tout à fait à la cohérence ».
Et puisqu’il faut bien une fin au livre, Jean-Claude Grumberg en essaie plusieurs jusqu’à cette histoire (vraie) que raconte, pour un bol de Kacha (3), le colporteur Mentel. Il avait si faim…
(1) Un livre de Jean-Claude Grumberg publié en 2023 aux éditions du Seuil
(2) Connaissez vous le terme de Pitchipoï qui, en Yiddish, désigne un lieu imaginaire, une campagne perdue et a été repris pour désigner la destination inconnue des trains de déportés ?
(3) Bouillie au lait composée de riz et de céréales.