Une de mes petites filles, (14 ans, classe de 3ème en collège public) est rentrée à la maison en posant cette question : « maman, tu savais que Hitler était juif ? il paraît que sa mère était juive ». Elle venait d’assister à un cours d’histoire de la seconde guerre mondiale, et c’est le professeur d’histoire qui avait apparemment glissé cette information sur le mode « il semblerait que ». Nous savons depuis longtemps que cette question a été débattue, mais que les historiens, après étude, ont conclu que c’était une rumeur invérifiable et infondée. Aussi pourquoi, sur un sujet où il y a tant à dire, dans un cours destiné à des enfants sans grandes références historiques, distiller une telle rumeur, fort de l’autorité académique et sans même l’inscrire dans une approche critique des manipulations de l’histoire ?
Cours d’histoire
Quelles sont les motivations de cet enseignant qui, à l’encontre de sa formation, oublie de contrôler ses sources ? Distraire l’auditoire par un détail qui lui semble piquant ? insinuer que les juifs sont responsables de leur malheur ? S’inscrire, consciemment ou non, dans un antisémitisme larvé en attachant l’étiquette « juif » à la figure du mal ? De plus, quand bien même un grand-père paternel, né de père inconnu, aurait eu la possibilité (jamais attestée) d’un géniteur juif, en quoi cela autorise-t-il qui que ce soit, sauf à soutenir une vision raciale de l’humanité, à déclarer Hitler juif ?
Des parents se sont plaints et, sous la pression, ce professeur a accepté de revenir en classe de manière plus sérieuse sur les génocides juifs et tziganes, et de dénoncer comme sans fondement la rumeur « Hitler juif » .
Cours de français
L’incident aurait pu en rester là. Mais voilà que, la semaine suivante, le professeur de français de la même classe fait travailler les élèves sur la nouvelle de Dino Buzzati « Pauvre petit garçon » et ressort à cette occasion la rumeur des « origines juives d’Hitler ».
Le texte est intéressant et fait réfléchir sur les conditions dans lesquelles se forment, dès l’enfance, les frustrations qui engendreront plus tard des personnalités pétries de haine.
Voici le commentaire qui en est proposé sur le « web pédagogique » :
« La nouvelle nous donne l’idée que le petit Dolfi est devenu Adolf Hitler à cause de toute la souffrance du passé, de son enfance. On pourrait penser qu’Hitler a fantasmé dès son enfance sur une espèce dominante: les Allemands «purs», Aryens, blonds et grands, comme ses copains, et une espèce plus fragile que plus tard il a identifié avec les Juifs, qu’il veut détruire. Plus largement, le nazisme se serait développé à partir de frustrations individuelles et collectives dans l’Allemagne des années 1920 et 1930. »
Jamais, à aucun moment, ni dans le texte de Buzzati, ni dans l’interprétation proposée, il n’est question d’une quelconque origine juive d’Hitler.
Qu’est-ce qui a bien pu pousser cet enseignant de français à revenir sur ce sujet pourtant glissant ? Il se défend, dans une lettre adressée aux parents, de toute mauvaise intention et dit avoir rappelé aux élèves « que la source de toutes ces rumeurs provenait d’une démarche similaire à celle de notre auteur : la même VOLONTÉ d’expliquer et de comprendre comment la HAINE est née dans le cœur d’un homme ». (les majuscules sont conformes à celles du passage cité).
Ainsi cette rumeur certes non avérée aurait pour seul mobile et seul objectif de chercher à comprendre l’antisémitisme d’Hitler ? Il ne faut pas chercher loin pour apercevoir que d’autres enjeux se cachent derrière cette supposition si régulièrement ressassée.
Manque de clairvoyance ou mauvaise foi ? Nul ne peut répondre à la place des enseignants qui croient innocent de se faire porteurs d’une telle rumeur, en l’inscrivant seulement, comme rumeur, dans un effort de compréhension psychologique d’un personnage.
Rumeurs antisémites
Il devrait pourtant être constaté qu’en de nombreuses circonstances, les rumeurs les plus folles courent sur la responsabilité des juifs dans les malheurs du monde. On peut citer entre autres celle du complot juif contre le World Trade Center, celle du même complot aussi évoqué dans les réseaux sociaux après la tuerie de Charlie Hebdo, et, encore plus récemment, les insinuations ineptes concernant les Juifs dans les attentats du 13 novembre dernier.
Ces rumeurs récurrentes ont des fonctions multiples et variables selon les circonstances. Construisant subrepticement des représentations inscrites dans les stéréotypes habituels du juif diabolique, du juif comploteur ou du juif riche, elles ont parfois aussi pour objectif de disqualifier un personnage puissant. Ainsi, en 2009, une rumeur court à Téhéran : « le président Ahmadinejad est juif ». On peut découvrir la manière dont s’est fabriquée cette rumeur infondée, rapportée aussi dans des journaux occidentaux, et son double usage dans l’article « Iran : Ahmadinejad est juif ! Rumeur à deux étages ! »
Dans un moment où l’on voit se décomplexer des propos antisémites, racistes ou xénophobes, comment des enseignants peuvent-ils avec désinvolture ignorer ce contexte et ne pas prendre en compte les dimensions sociologiques et politiques de leurs paroles ?
J’ai rencontré ce phantasme sur les origines juives supposées de Hitler surtout dans les années 2000. Des élèves se faisaient l’écho de cette rumeur. Auparavant, dans les années 90 on me disait plutôt que Hitler n’était pas mort le 30 avril 1945. Bien sur, il y a quelque chose de très déplaisant dans ce phantasme qui au pire renvoie la responsabilité de leur pire persécution aux Juifs, au moins pire se concentre sur la seule psychologie de Hitler. Je croyais à un bobard malsain récent, les élèves étant incapables de donner une source à leurs affirmations. Puis en lisant la première partie de la biographie de Hitler de l’historien anglais Ian Kershaw, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de la reprise de rumeurs qui ont circulé dans les années trente principalement dans les milieux nazis. Avant que le régime nazi s’installe au pouvoir, des rivaux du chef ont répandu ce bruit et certains de ses partisans ont enquêté en principe pour disculper le futur fuhrer de cette suspicion de non-aryanité. En fait les mêmes bruits ont couru sur plusieurs dirigeants nazis qui étaient tentés de se soumettre les uns les autres à des chantages à la révélation de leur supposée impureté raciale.
Kershaw règle la question dans une note au bas d’une des premières pages de son livre. L’incertitude sur la filiation du père de Hitler a ouvert la porte à toutes sortes de supputations . Rien ne montre que la grand mère Anna Maria Schikelgruber ait travaillé dans une famille juive, encore moins que son fils Aloïs ait été conçu dans ces circonstances. On ne sait pas qui est le masque de fer. On ne dit pas pour autant qu’il est juif!
A propos du texte de Buzzati :
J’ai plusieurs fois et cette année encore fait lire la nouvelle de Buzzati en « Littérature et Société », un des enseignement issu des dernières réformes mais c’est plutôt par intérêt littéraire, la technique de la chute (tout se révèle dans le dernier mot) l’utilisation d’un personnage historique dans une oeuvre d’imagination. Je ne crois pas que cette nouvelle cherche à excuser Hitler. Toute victime (des moqueries d’autres enfants ou d’un manque de tendresse maternelle) n’en devient pas sympathique pour autant et la nouvelle n’exprime pas de sympathie pour le petit Dolfi. Il faudrait surtout insister sur le fait qu’elle ne donne aucune clef du nazisme. Le mot « juif » n’est pas prononcé. On est en 1966 et l’antisémitisme est en quelque sorte inclus dans les aspects brutaux du nazisme auxquels il est fait allusion (gout de la guerre, culte de la force, mythe de l’aryen blond, mépris des faibles et des bureaucrates qui écrivent).La question des supposées origines juives de Hitler n’est pas du tout présente dans ce texte