Par maclarema le vendredi 8 novembre 2013, 08:19 – culture
Rédigé par Reine.
Kamp, une pièce de l’Hôtel Modern :
les images manquantes d’Auschwitz
Le 21 septembre j’ai assisté, au 104 à Paris, à la représentation de Kamp par la troupe hollandaise Hotel Modern.
Trois marionnettistes (deux actrices et un plasticien concepteurs du projet) manipulent à vue les figurines et font exister l’espace et l’action dans un va-et-vient constant entre la maquette entière du plateau et une vidéo en fond de scène qui agrandit pour nous les détails filmés en direct.
Une heure dans la mécanique d’Auschwitz
Pendant une heure – plus serait insupportable -, sans interpréter, ils nous montrent la mécanique de mise à mort à l’œuvre lors d’une « journée ordinaire » : le travail abrutissant qui asservit, la gamelle que l’on racle désespérément à la recherche d’une soupe incertaine, le banquet alcoolisé des gardiens, des pendaisons, l’arrivée d’un train et la sélection (répétée deux fois). Rien n’est occulté de la chambre à gaz ni des fours crématoires.
Les crissements de la mort
J’ai vécu là une expérience sensorielle, intellectuelle et émotionnelle extrêmement marquante.
Sur le plateau, avec des matériaux simples (bois, carton ondulé, fil de fer, quelques lumières, des objets ), dans un style « arte povera », à une petite échelle mais visible par le public, le camp d’Auschwitz est reconstitué : le portail et l’inscription « Arbeit macht frei », la voie ferrée et la rampe de sélection, des baraquements, des barbelés, des miradors. Le sol blanc évoque la glace de l’hiver polonais.
Une foule de figurines groupées ou dispersées sont contenues dans l’enceinte : quelques gardiens en uniforme allemand et près de 3000 déportés aux visages différenciés hébétés, effrayés, en passe de déshumanisation. Ils me rappellent les 10 000 visages découpés dans des disques d’acier, amoncelés comme des tas de feuilles mortes dans les espaces vides du Musée juif de Berlin et que les visiteurs sont appelés à fouler aux pieds en provoquant des crissements impressionnants.
Un va-et-vient d’apparence ordinaire Trois marionnettistes (deux actrices et un plasticien concepteurs du projet) manipulent à vue les figurines et font exister l’espace et l’action dans un va-et-vient constant entre la maquette entière du plateau et une vidéo en fond de scène qui agrandit pour nous les détails filmés en direct. Pendant une heure –plus serait insupportable-, sans interpréter, ils nous montrent la mécanique de mise à mort à l’œuvre lors d’une journée « ordinaire » : le travail abrutissant qui asservit, la gamelle que l’on racle désespérément à la recherche d’une soupe incertaine, le banquet alcoolisé des gardiens, des pendaisons, l’arrivée d’un train et la sélection (répétée deux fois). Rien n’est occulté de la chambre à gaz ni des fours crématoires. La caméra se promène aussi sur les objets (la pelle à neige, les valises et leur contenu, les bidons de Zyclon B…).
Quand elles passent de la rampe à la « douche », les figurines déshabillées deviennent de la résine transparente. Ailleurs un charnier laisse découvrir des corps en terre glaise : à chaque étape son matériau.
Aucun texte, aucun cri, mais un travail du son vériste et glaçant qui fait se succéder des chants martiaux allemands, le grincement d’une pelle ou d’une porte , le bruit du vent et des chacals, le son amplifié des coups mortels ou du gaz dont on remplit les douches. La durée ou la répétition de certains sons et de certaines actions suggèrent l’anéantissement de masse.
Une expérience sidérante
L’expérience visuelle et auditive s’avère éprouvante car nous pénétrons le camp et sommes aux côtés des déportés et de leurs bourreaux. Mais la présence des trois acteurs et le retour à la lumière des projecteurs entre deux moments filmés permettent une respiration et éloignent le pathos. A la fin, le public,littéralement sidéré, laisse du temps avant d’applaudir. L’invitation des comédiens à venir voir de plus près le décor et à discuter avec eux, permet un soulagement supplémentaire.
Ce spectacle, bouleversant pour la petite-fille de déporté que je suis, est, pour un tel sujet, exemplaire de la juste tension à trouver entre réalité concrète sans laquelle la vérité historique n’existe pas et plan symbolique qui rend le désespoir supportable, si cet oxymore a un sens.
- Théâtre : Kamp, mise en scène de l’Hôtel Modern (crédit photographique Simon Fromentèze).