Partager la publication "Le dernier jour d’Yitzhak Rabin, film d’Amos Gitaï"
Le cinéaste franco-israélien revient sur ce qui s’avère être aujourd’hui un traumatisme fondamental de l’histoire d’Israël, l’assassinat du Premier Ministre Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995 par un jeune extrémiste religieux, Yigal Amir, à la fin d’un rassemblement qui avait réuni à Tel-Aviv des dizaines de milliers de sympathisants pour la paix.
Le film mêle adroitement des images d’archives (celles du discours de Rabin ce 4 novembre et de son assassinat en direct, celles d’une manifestation, antérieure de quelques jours, d’extrémistes hostiles à la paix galvanisés par un discours de Benjamin Netanyaou, celles d’une séance à la Knesset où Rabin est interpellé violemment par des députés du Likoud), deux interviews, l’une de Shimon Peres, l’autre de Léah Rabin, veuve inconsolée du Premier Ministre, décédée depuis en 2000, et des reconstitutions jouées par des acteurs : interrogatoires de la commission d’enquête de la Cour Suprême, réunion de rabbins extrémistes appelant à un « Din Roder » sur Rabin, (équivalant de la fatwa des Musulmans), analyse délirante d’une psychiatre invoquant des troubles schizoïdes chez Rabin, préparation de l’assassinat par Y.Amir, arrestation et interrogatoire de ce dernier. La mise en scène, bien que formelle, surprend par son rythme de thriller, sa beauté plastique et sa grande fluidité, à tel point que parfois on ne sait plus si ce qu’on voit est archive ou reconstitution, et l’ensemble donne l’effet d’une inquiétante étrangeté.Amos Gitaï qui avait déjà abordé cet événement à chaud en 1996 dans un documentaire intitulé L’Arène du meurtre a travaillé deux ans pour ce film, en analysant les archives et les minutes de la commission d’enquête mises à sa disposition par son Président, Meir Shamgar. « Tout est vrai dans ce film », dit le cinéaste. Cet opus se présente donc comme une nouvelle enquête qui veut forcer la société israélienne à affronter son Histoire.
Amos Gitaï aborde l’assassinat par deux prismes :
*un peu comme la commission Warren pour l’assassinat de John Kennedy, l’enquête officielle a été limitée (par qui?) aux défaillances techniques de la sécurité : garde du corps distrait, défaillance troublante de la police et du Shin Bet (service de sécurité) habituellement si performants, voie de dégagement non prévue, sirène de voiture oubliée. La commission n’a ni pu? ni voulu? affronter la vérité politique de cet assassinat, comme le dit d’ailleurs très bien Meir Shamgar à la fin de son rapport, outrepassant sa mission.
*d’autre part, dans un procès lourdement à charge, le film témoigne fortement du contexte de haine anti-Rabin (Shimon Peres parle d’ambiance de « sédition ») dans lequel est intervenu cet acte brutal. Les extrémistes, opposés aux accords d’Oslo de 1993 signés avec Arafat, galvanisés par le Likoud, défilaient avec des pancartes qui représentaient Rabin déguisé en général SS et appelaient clairement à sa mort. Yigal Amir (qui purge en prison une peine de perpétuité) n’est que le bras armé du déferlement de haine qui sévissait depuis 2 ans.
Pourquoi ce film aujourd’hui?
C’est un acte citoyen qu’opère là le cinéaste, mais terriblement pessimiste. Car il apparaît que cet assassinat a porté un coup fatal aux espoirs de paix dans la région et que la situation s’est amplement dégradée depuis 1995. Un personnage du film évoque à un moment avec indignation le chiffre de 100 000 colons, nous en sommes à près de 600 000. Dès 1996 le gel des constructions de colonies opéré par Rabin est levé par son successeur, B.Netanyaou (qui en est à son 4 ème mandat). La gauche s’est révélée incapable de trouver à Rabin un successeur charismatique oeuvrant pour la paix.
Les mots (des rabbins, des militants extrémistes, de la droite politique) ont eu le pouvoir de mener au meurtre. Quand on entend, lors de son interrogatoire, les paroles folles et haineuses du meurtrier, quand on voit sa mine réjouie, on ne peut s’empêcher de penser aux djihadistes actuels. Les terrorismes se rejoignent pour empêcher de donner une chance à la paix, et ce, « des deux côtés » dit Amos Gitaï.
Un film important.
Le dernier jour d’Yitzhak Rabin, actuellement en salles.
Liens
Très belle analyse.
Ça donne envie d’aller voir ce film, sur un personnage aussi charismatique que pouvait l’ être rabin.
Bravo pour votre blog toujours intéressant.
Marion
Le culte de l’imaginaire…
C’est-à-dire? la réponse est bien laconique.