Dans cette Ukraine en proie à la folie meurtrière de Poutine et son régime, qu’en est-il des Juifs ?
La première chose qui étonne, quand on connait les incessants pogroms des 19ème et 20èmesiècles et la destruction subie par les Juifs d’Ukraine lors de la seconde guerre mondiale (1), menée par les Nazis bien sûr mais aidés par de nombreux collaborateurs ukrainiens (2), c’est le fait que l’Ukraine ait élu en 2019 un Président
d’origine juive, Volodymyr Zelensky. Celui-ci joue, extrêmement courageusement, un rôle prépondérant dans la résistance ukrainienne actuelle.
Lors de la Shoah, un million de Juifs, parmi lesquels une partie de la famille de Zelensky, furent assassinés.
En 1989, avant la dissolution de l’URSS, on estimait les Juifs d’Ukraine à environ 500 000. La pratique religieuse était interdite comme pour les autres religions et l’antisémitisme subsistait sous la couverture de l’antisionisme. Après la dissolution, l’ouverture des frontières fit que 80 % des Juifs quittèrent l’Ukraine, majoritairement pour Israël où on leur attribuait la citoyenneté israélienne, ou pour des pays occidentaux dont les Etats-Unis.
Au moment du déclenchement de l’invasion russe le 24 février dernier, des dizaines de milliers de Juifs vivent en Ukraine, certains sont pratiquants puisque c’est redevenu possible, d’autres non. Une étude démographique de 2020 parle de 43 000 personnes s’identifiant comme juives et estime à 200 000 personnes au moins celles ayant une ascendance juive (donc éligibles à la citoyenneté israélienne).
Beaucoup vivent dans les grandes villes où ils disposent de synagogues et de lieux communautaires ou, dans une moindre mesure, en milieu rural (3).
Une conférence en ligne organisée le mercredi 13 avril dernier par le mémorial de la Shoah (4), Les Juifs d’Ukraine au passé et au présent, a donné un éclairage sur la vie juive en Ukraine avant la guerre. Etaient notamment invités Alexandra et Paul Fischel, engagés dans la vie juive en Ukraine, actuellement réfugiés en France avec leurs enfants.
Alexandra et Paul ont fui la guerre avec d’autres personnes de leur famille. Parmi eux, certains sont allés en Allemagne et en Suède. Le couple, lui, a été accueilli en France sur intervention du ministère de la culture : Paul est artiste peintre et illustrateur de livres en ukrainien et Alexandra travaille dans l’ONG ESJF (5) pour la sauvegarde du patrimoine juif en Europe.
Paul raconte son retour au judaïsme effectué à partir des années 90 dans un pays, berceau du Hassidisme (6), où les organisations juives renaissaient dans une Ukraine indépendante. S’il a été élevé dans une famille plus du tout pratiquante, dans un pays soviétique où les religions étaient vues comme obsolètes, relevant d’un temps révolu contraire à l’instauration du communisme, la famille avait toujours gardé mémoire de son identité juive. En 2014, les Juifs ont pris toute leur part dans le mouvement Maïdan (7) qui, entre autres choses, marquait la renaissance de l’ukrainien en tant que culture et langue… Il y a eu à partir de ce moment renforcement de l’intégration des Juifs dans la société.
Paul insiste aussi sur l’importance de la place qu’a prise la langue ukrainienne et sa fierté d’avoir contribué à la publication de livres illustrés par lui, avec des textes en ukrainien.
Au sein de l’association ESJF, Alexandra s’occupe en particulier de la remise en état et la sauvegarde des nombreux cimetières juifs du territoire ukrainien. Elle travaille en liaison avec des initiatives locales, initiées souvent par des non juifs, qui prennent en charge des cimetières juifs. Des visites sont organisées pour des classes. L’association produit des manuels pour aider les professeurs à expliquer l’histoire des Juifs en Ukraine.
A la question du degré de prégnance de l’antisémitisme dans l’Ukraine actuelle, Paul et Alexandra notent que Maïdan a permis d’évoluer vers une compréhension mutuelle entre les communautés. De plus, une loi récente pénalise les manifestations d’antisémitisme. S’il n’y a pas forcément fraternité, au moins une proximité s’est nouée entre Juifs et non-Juifs. Dans les rues, on peut s’afficher juif par le vêtement ou la kippa, ce qui n’exclut pas qu’il puisse y avoir des incidents.
A la question de savoir si Les Juifs en Ukraine se sentent pleinement ukrainiens ou appartenant à une minorité, Paul et Alexandra disent se considérer comme des Juifs ukrainiens.
A l’heure où la guerre bat son plein, où cinq millions d’Ukrainiens ont dû fuir, nous ne pouvons qu’affirmer notre solidarité et, pour ce qui concerne la communauté juive, souhaiter qu’elle puisse vite se retrouver et revivre dans une Ukraine en paix et indépendante.