Le Complot contre l Amérique, roman de Philip Roth (2004)

A travers neuf chapitres datés de juin 1940 à octobre 1942 le romancier nous entraîne dans l’histoire de la famille Roth qui vit dans la banlieue de Newark ( New Jersey), dans le quartier juif de Weequahic. Il imagine que l’aviateur Charles Lindbergh a battu le démocrate Franklin Roosevelt aux élections de 1940 et que les conséquences de cette élection menacent puis terrorisent la communauté juive américaine. Par les yeux du narrateur prénommé Philip, 7 ans, nous voyons comment le cadre historique ainsi créé se répercute sur les personnages qui appartiennent à la famille ou au quartier : Bess la mère, Herman le père, Sandy le grand frère, Alvin le cousin, Evelyn la tante maternelle et son mari le rabbin Lionel Bengelsdorf, Monty, l’oncle paternel qui ne pense qu’à gagner de l’argent, mais aussi les voisins, les Wishnow et leur fils Seldon, ou encore l’ami Earl avec lequel le narrateur augmente sa collection de timbres et fait les 400 coups. Continuer la lecture

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Le temps d’Olga et des autres

« Antan est l’endroit situé au milieu de l’univers », ainsi commence le roman d’Olga Tokarczuk (1), écrivaine polonaise à laquelle a été décerné le prix Nobel 2018 : Dieu, le temps, les hommes et les anges (2)

Nous voici d’emblée plongés au cœur de l’espace et du temps.

L’espace c’est ce village d’Antan et les quelques villages alentour et, au-delà, de manière floue : la Pologne, la Russie, l’Allemagne. Mais c’est aussi l’espace d’un Dieu aux multiples facettes, qui n’en finit pas de faire et défaire le monde. Huit mondes exactement dans le jeu qu’un rabbin a donné au chatelain d’Antan. « Dans le huitième monde, Dieu est déjà vieux. Sa pensée est de plus en plus débile, le verbe bredouille… Les confins du monde tombent en poussière ».

Le temps c’est le temps de chacun : le temps de Misia, le temps de Paul dont le nom est Divin, Paul Divin, le temps de la glaneuse, le temps du chien Lalka aussi qui se conjugue toujours au présent sans oublier le temps des anges… Un temps pour chacun dans chacun des courts chapitres qui composent le livre. Le temps que naissent, vivent et meurent Misia et son frère Isidor si fragile et en même temps si accroché à la vie.

C’est aussi le temps de la Pologne : le temps d’une Pologne russe où les hommes sont enrôlés par le tsar en 1914, puis d’une Pologne occupée par l’Allemagne dans les années 1940 où se déploie la Shoah, enfin d’une Pologne communiste où certains grimpent les échelons et où d’autres se font arrêter sous n’importe quel prétexte.

(1) Olga Tokarczuk est née en 1962 à Sulechow en Pologne. D’abord psychothérapeute, elle se consacre ensuite à l’écriture. Elle défend les droits des minorités en Pologne et est une féministe engagée. Elle a écrit de nombreux romans traduits dans plusieurs langues et a obtenu le prix Nobel 2018.
(2) Prawiek i inne czasy (1996) – roman publié en français sous le titre Dieu, le temps, les hommes et les anges, traduit par Christophe Glogowski, Paris, Éditions Robert Laffont, coll. « Pavillons. Domaine de l’Est », 1998, 340 p. Le livre est disponible en poche.

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L’exposition Christian Boltanski : Faire son temps (Centre Pompidou jusqu’au 16 mars)

En haut La Dernière danse 2004
En bas Les Regards 2011

En parcourant, au centre Pompidou de Paris, l’exposition du plasticien conceptuel français Christian Boltanski, on est invité(e) à déambuler dans une suite de séquences marquant des étapes de son oeuvre. C’est l’un des sens du titre Faire son temps. Sans que le parcours soit chronologique, l’artiste trace une sorte d’archéologie de son histoire et « exhume » les différentes formes qu’elle a revêtues à travers une cinquantaine d’oeuvres : installations, peintures, théâtre d’ombres, objets bruts ou retravaillés, mannequins parlants comme chez Kantor*, photographies papier ou projetées, enseignes lumineuses foraines « Départ » et « Arrivée »qui ouvrent et clôturent la promenade, films, vêtements entassés… Les ampoules et la lumière, opposées à l’ombre et au noir, jouent un rôle majeur, comme les sons très divers, musique, voix enregistrées, souffles, sonorisation répétitive des films. De l’art total pour une exposition qui est une oeuvre en soi.

Les Reliquaires
Autels Chases 1988

Entre-temps 2003

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Confort

De Marceline Loridan à Walter Benjamin et Georges Perec.

Les alertes sans cesse plus pressantes des scientifiques sur la dégradation que l’exploitation forcenée de la planète fait peser sur le climat (1) ne cessent d’interroger nos modes de vie. Le formidable développement industriel et technologique permet à une part croissante des humains de vivre dans un confort (2) matériel sans précédent. Mais les ressources de la terre s’épuisent, le temps se détériore, et les signes de ralentissement de l’usage des énergies fossiles, de la production industrielle et du gaspillage inconsidéré de la nourriture et des biens restent faibles.
Si la recherche insatiable du profit domine le processus, le désir, qui semble universellement répandu, d’une vie agréable associée à une multitude de biens, de services et de robots, contribue pour sa part à la surconsommation des ressources. Le confort est la marque du progrès auquel n’accède pas le sauvage, il est moderne, il distingue le bon goût de la vulgarité. (3).
Le confort est-il si bénéfique et si nécessaire que nous ne puissions nous en passer ?
Petits détours pour y penser, de Marceline Loridan à Walter Benjamin et Georges Perec… Continuer la lecture

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Les Druzes en Israël

Les Druzes (duruz en arabe) ne sont pas une ethnie mais une communauté religieuse issue d’Egypte aux origines perse, arabe, turque, kurde et dispersée principalement entre le Liban (400 000 personnes), la Syrie (600 000), le nord d’Israël (120 000) et la Jordanie (20 000). Certains se sont exilés aux USA, au Canada ou en Australie à la fin du XIXè siècle. Ils seraient entre 1,5 et 2 millions dans le monde. Ils forment dans chaque pays un ensemble homogène et même mystérieux puisque la religion qui les unit ne se transmet qu’entre initiés et demeure secrète non seulement pour l’extérieur mais aussi pour les Druzes non-initiés eux-mêmes.

Aux origines la religion druze vient de l’Ismaëlisme, issu du Chiisme musulman. Ce courant  ajoute à l’Islam de Mahomet des éléments néo-platoniciens et une interprétation ésotérique, allégorique, des textes sacrés. C’est le septième imam du chiisme Ismael Ben Jafar qui lui donne son nom. Il se propage à la faveur des conquêtes arabes et s’installe durablement en Egypte où règne la dynastie des califes Fatimides (882-1171).
La religion druze naît d’une scission d’avec l’Ismaëlisme sous le 6ème calife Al Hakim qui adhère à la doctrine druze (996-1021), établie par Hamza, Perse d’origine, dont l’ adversaire auprès du pouvoir, Muhammad Ad Darazi ( Turc d’origine dont le nom serait à l’origine du mot druze), veut ajouter au dogme des éléments manichéens, chrétiens et bouddhistes. Celui-ci est exilé en 1018 et part en Syrie avec ses fidèles. Le calife Al Hakim, tolérant au début de son règne envers les autres courants religieux, devient fou et se conduit en tyran intolérant. Il est assassiné sans que son corps soit retrouvé. A sa mort en 1021 Ad Darazi proclame sa divinisation et en fait une sorte de messie appelé à se réincarner. Il fonde ainsi la religion druze. A la mort du calife Al Hakim, son fils, dans la haine de la religion de son père, persécute les Druzes qui s’exilent. Continuer la lecture

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Recherches généalogiques : tombeau pour « mes » disparus de Pologne.

Pulawy 1935

(de gauche à droite et de haut en bas)
Zluva Szylman née Korenberg (née en 1897)
Tovie Szylman (1898)
Hirsch Mordechaj Szylman (1934)
Rywka Fruchtman née Szylman (1910-1942) ma grand-mère
Annette Meneval née Fruchtman (1933) ma mère
prénom inconnu Szylman (1932)

 

Depuis longtemps cette rare photo de ma famille  suscitait en moi malaise et interrogations. Malaise parce qu’y figurent ma grand-mère maternelle- morte à 32 ans à Paris, enceinte de 6 mois, en 1942 à la suite de la rafle du 16 juillet-  son frère, sa belle-soeur, sa  nièce et son neveu disparus en Pologne. Interrogations aussi à propos de cette photo prise en Pologne en 1935, sur ce grand-oncle et sa famille dont ma famille et moi ignorions presque tout : années de naissance et de mort, prénoms, et surtout circonstances de leur disparition pendant la seconde guerre mondiale.
J’ai donc entrepris des recherches sur ma famille juive polonaise (maternelle et paternelle), munie seulement de quelques informations familiales et d’un ordinateur. Ma recherche n’était pas tant de remonter le plus loin possible aux origines que de connaître le plus précisément possible les circonstances de la mort des disparus de la Shoah. Je ne pensais pas en démarrant ce travail combien il serait compliqué et imparfait quant aux résultats, mais aussi révélateur et passionnant qu’une enquête, m’entraînant dans un voyage historique et géographique, à l’instar de Daniel Mendelsohn, dont je lisais au même moment Les Disparus*(1). Car grâce à internet -qu’il faut louer parfois- je me suis trouvée reliée en ligne non seulement à des  Juifs ashkénazes de toutes générations mais aussi par des échanges téléphoniques -et peut-être un jour de visu- avec des cousins australiens, américains et israéliens dont j’ignorais l’existence.

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Les organisations de bienfaisance israélites face à l’immigration juive en France (1880-1930)

Vers le milieu du XIXe siècle, la situation des Juifs en France s’est stabilisée. La Révolution a fait d’eux des citoyens et Napoléon a créé des instances capables de les représenter et de réguler leur rapport à l’État.

grande synagogue de la rue de la Victoire à Paris, inaugurée en 1874

Une petite élite, appuyée sur des valeurs d’étude et de travail, a même pu s’enrichir, cultiver des valeurs aristocratiques en vogue et s’intégrer à la bourgeoisie française. D’autres, artisans, boutiquiers, négociants, sans être riches, ont pu développer leurs activités et vivre de leur métier. La plupart des Juifs cependant, comme une grande part de la population, reste très misérable (1). Des formes d’aide sont organisées, conformément à la tradition juive, animées souvent par des femmes. Ces initiatives privées « israélites » (terme en vogue à l’époque pour contourner la connotation négative alors attachée au mot « juif ») s’inscrivent dans les pratiques de la bourgeoisie française et dans une politique nationale de charité associant la compassion, la valorisation personnelle et la volonté de réduire les tensions sociales. Continuer la lecture

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Sionisme et antisionisme : de quoi parle-t-on?

Que de mots se déversent depuis quelque temps autour du sionisme et de son contraire l’antisionisme. Que d’invectives et ce sentiment que derrière ces mots chacun met ce qui l’arrange ou ce qu’il croit savoir.

Avec récemment ces propos controversés d’Emmanuel Macron, lors de la cérémonie du Vel d’Hiv en 2017, et réitérés lors du diner 2018 du CRIF, assimilant antisionisme et antisémitisme : « l’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme ».

Mais finalement de quoi parle-t-on ? Je ne le savais pas clairement moi-même et ai donc entrepris d’en savoir plus.

Theodor Herzl

Le sionisme en tant que mouvement politique (1) est né à la fin du 19ème siècle, sous l’impulsion de Theodor Herzl (2) dans une Europe de nations en construction. Les pogroms à l’Est du continent et l’affaire Dreyfus dans sa pointe ouest y ont largement contribué. Il s’agissait de donner aux Juifs du monde entier un territoire national, un « Etat des Juifs », comme l’indique le titre du livre de Th. Herzl, publié en 1896. Le premier congrès sioniste eut lieu en 1897 à Bâle. S’il y eut des projets autres qu’une implantation en Palestine ottomane jusqu’en 1917 puis sous mandat britannique, tous avortèrent.
La déclaration Balfour, datant de 1917, et reprise dans le mandat donné par la Société des Nations  au Royaume uni en 1922 entérina le choix de la Palestine (3). L’installation de Juifs en Palestine, qui avait commencé à petits pas depuis le milieu du 19ème siècle, s’intensifia, par rachat de terres aux Palestiniens et implantations urbaines. En 1935, on estime la population juive à 350 000 personnes (4).

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L’internement des nomades en France entre 1939 et 1946

On a pu découvrir au Mémorial de la Shoah une exposition particulièrement instructive sur l’internement des « nomades » en France pendant la dernière guerre, traitement mis en perspective des politiques discriminantes menées à l’égard des « Romanichels » en France ou des « Zigeuner » (Tsiganes)  en Allemagne dès le 19ème siècle.

En France les travailleurs itinérants, régionaux ou transfrontaliers, faisaient autrefois partie de la vie des campagnes et étaient plutôt bien accueillis dans les villages et par le monde paysan. Ils se déplaçaient en famille, saisonniers, colporteurs, rempailleurs, rémouleurs ou forains, appréciés pour leur travail, les marchandises ou les distractions proposées. Mais l’essor industriel, l’urbanisation croissante, et les mutations sociales changent l’image de ces « Bohémiens » :  bientôt stigmatisés comme vagabonds, voleurs de poules, porteurs de maladies, asociaux, ils deviennent la cible de discours xénophobes et de plus en plus privés de lieux de stationnement.

Les pouvoirs publics cherchent aussi à contrôler cette population insaisissable. En mars 1895, le gouvernement organise un recensement qui décompte « 25 000 nomades en bandes voyageant en roulottes ».
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Hommage à l’écrivain Aharon Appelfeld

La littérature israélienne a perdu en un an deux de ses grands écrivains, Aharon Appelfeld en janvier et Amos Oz en décembre 2018 (article Judas) . Je parlerai aujourd’hui du premier dont j’ai lu plusieurs livres et qui me touche particulièrement. Cet écrivain très prolifique – il a publié plus de 40 livres, romans, nouvelles ou poèmes, traduits en 35 langues- se revendiquait, non comme écrivain israélien mais comme « un écrivain juif en Israël ». Après Primo Levi ou Elie Wiesel, il était l’un des derniers survivants à transmettre l’expérience incommunicable de la Shoah. Mais il refusait d’être considéré comme un écrivain de la Shoah, craignant que la « catastrophe » comme il la nommait, ne devienne en littérature un objet historique ou sociologique. Très méfiant envers les discours « gelés », réticent à s’exprimer publiquement sur le conflit israélo-palestinien (à l’inverse d’Amos Oz ou de David Grossman), tout en approuvant, en homme de sensibilité travailliste, la solution à deux Etats, il prônait une littérature  » de l’exil » apte à transmettre une expérience SINGULIERE, la seule capable de donner une voix aux disparus. Continuer la lecture

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