Pour ceux qui ont pu, pendant la guerre, écouter Radio Londres, l’oreille sur le poste, Pierre Dac faisait partie de la famille. Dans l’émission quotidienne Les Français parlent aux Français, il contribuait avec une bande de journalistes, d’artistes et de résistants, à maintenir ou remonter le moral des Français.
On pouvait y entendre, en plus des messages personnels de soldats et de résistants à leur famille, les messages codés des services de renseignement britanniques, des chansons parodiques raillant l’occupation allemande et la collaboration, – ensuite parachutées par la Royal Air Force – et les Bulletins de Pierre Dac, qu’il préparait en écoutant les radios sous contrôle allemand pour se moquer des mauvaises stratégies et des défaites de l’ennemi.
Pierre Dac retrouvé avec Francis Blanche après la guerre sur les ondes radiophoniques comme un parent rescapé, dans une émission radiophonique désopilante de dix minutes écoutée chaque jour à l’heure de midi, Les aventures de Furax dont les premiers épisodes – Malheur aux Barbus – offraient en 1952 un bol de joyeuse rigolade..
Une belle exposition du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme retrace le parcours de cet André Isaac, dit Pierre Dac, (1893-1975), d’une famille modeste de Juifs d’Alsace venus s’installer à Chalons-sur-Marne après la défaite de 1870, puis à Paris. On y apprend qu’avant d’être humoriste il fut soldat mobilisé à 20 ans en 1914, gravement blessé à deux reprises, guerre dans laquelle il perdit son frère.
L’Os à Moelle
Entre les deux guerres, et après divers « petits boulots », il conquiert déjà le public des rieurs : d’abord chansonnier de cabarets, acteur dans des pièces humoristiques produites dans divers théâtres, il crée aussi, à partir de 1935, des émissions qui révolutionnent la radio et remportent un grand succès , la course au trésor, La société des loufoques, et, en 1938, un journal hebdomadaire, l’Os à moelle, « organe officiel des loufoques , clairement anti-nazi. Les petites annonces, le plus souvent rédigées par Francis Blanche, vendent des porte-monnaie étanches pour argent liquide, des trous pour planter des arbres, etc
Résistance
Arrivé, après bien des péripéties, à Londres en 1943, il met sa notoriété au service de la Résistance et son humour, espiègle et plein d’entrain, fait mouche. Il invente des chansons moqueuses et subversives faciles à retenir, et vilipende les propagandistes du régime de Vichy. Un de ceux-là, Philippe Henriot, le 10 mai 1944 sur Radio-Paris (organe de Vichy), s’en prend à Pierre Dac en évoquant ses origines juives et en mettant en doute son intérêt pour la France, demandant La France, qu’est-ce que cela peut bien signifier pour lui ?. La réponse de Pierre Dac est lapidaire, mordante, pleine de colère contenue, on peut l’écouter dans le cadre de l’exposition.
Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement de Vichy, engagé dans la milice dès 1943, ne l’emportera pas en paradis : il est abattu par la Résistance à Paris le 28 juin 1944.
Après la Guerre, Pierre Dac garde « le parti d’en rire » ; l’exposition du MAHJ donne a voir, en textes, en images et en vidéos, toute la créativité du désormais inséparable et mythique duo avec Francis Blanche. Sketch désopilant du Biglotron parodiant une conférence scientifique, ou le fameux duo « La recette du water pudding » d’un burlesque échevelé, ou encore celui dans lequel Pierre Dac, en fakir, se prétend télépathe Sâr Rabindranath Duva.
Candidat à la présidentielle
Toujours sur la brèche, déçu par ses anciens amis, il entend faire de l’humour un outil politique ; en 1965 il crée le parti M.O.U (Mouvement ondulatoire unifié) avec ce slogan : : « Les temps sont durs, votez MOU ! ». et se présente à l’élection présidentielle – la première au suffrage universel – prévue en décembre, avec un programme qui règle de façon inventive divers problèmes, dont ceux de géopolitique : « Étant donné la marche du soleil, nous tâcherons d’avoir des relations avec l’Est le matin et avec l’Ouest l’après-midi, le Moyen-Orient étant traité de midi à deux heures et sur rendez-vous. ». Un appel de l’Elysée – Le général de Gaulle est candidat – mettra fin à cette aventure.
Roi des loufoques, maître de l’absurde, Pierre Dac est aussi un grand dépressif, profondément atteint par les événements de la guerre, par l’assassinat en masse des Juifs d’Europe et par la médiocrité de la vie politique. Un panneau de l’exposition le décrit alors comme un « loufoque amer, écoeuré par la lâcheté des compromis face aux horreurs de l’Occupation et de la collaboration, révulsé par la barbarie nazie » ; son humour s’est assombri , il s’engage dans des combats contre le racisme et l’antisémitisme et publie une série de billets dans « le droit de vivre », organe de la Licra (Ligne internationale contre le racisme et l’antisémitisme)
En 1966, il accepte d’emblée de jouer le rôle de président du tribunal dans la pièce de Peter Weiss L’Instruction , au théatre de la Commune d’Aubervilliers. Un extrait – éprouvant – de cette pièce, reprennant les minutes d’un procès de vingt deux responsables et gardiens du camp d’Auschwitz, est présenté en vidéo dans l’exposition.
S’il n’a jamais renié ses origines juives, Pierre Dac – esprit libre, franc-maçon depuis 1946 – ne semble pas avoir fréquenté les synagogues ni les milieux communautaires ou culturels juifs. Mais il doit sans doute à ses origines modestes et à sa judéité un point de vue décalé, une position d’écart au monde, féconds pour en montrer joyeusement, et en désespoir de cause, la totale absurdité .
Citations de Pierre Dac :
– Il est préférable d’être ailleurs lorsqu’autre part n’est plus ici.
– Si les ennuis d’une grande partie du monde risquent de concerner tout le monde, par contre, ceux d’une petite partie du monde ne risquent pas d’intéresser grand monde.
– Celui qui dans la vie, est parti de zéro pour n’arriver à rien dans l’existence n’a de merci à dire à personne.
Pierre Dac, Le parti d’en rire, exposition du 20 avril au 27 août 2023
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Quel régal chère maclarema
de pouvoir lire vos articles si bien informés et écrits. Merci d’une fidèle lectrice.Elisabeth Girardot Labbouz.