Partager la publication "Sionisme et antisionisme : de quoi parle-t-on?"
Que de mots se déversent depuis quelque temps autour du sionisme et de son contraire l’antisionisme. Que d’invectives et ce sentiment que derrière ces mots chacun met ce qui l’arrange ou ce qu’il croit savoir.
Avec récemment ces propos controversés d’Emmanuel Macron, lors de la cérémonie du Vel d’Hiv en 2017, et réitérés lors du diner 2018 du CRIF, assimilant antisionisme et antisémitisme : « l’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme ».
Mais finalement de quoi parle-t-on ? Je ne le savais pas clairement moi-même et ai donc entrepris d’en savoir plus.
Le sionisme en tant que mouvement politique (1) est né à la fin du 19ème siècle, sous l’impulsion de Theodor Herzl (2) dans une Europe de nations en construction. Les pogroms à l’Est du continent et l’affaire Dreyfus dans sa pointe ouest y ont largement contribué. Il s’agissait de donner aux Juifs du monde entier un territoire national, un « Etat des Juifs », comme l’indique le titre du livre de Th. Herzl, publié en 1896. Le premier congrès sioniste eut lieu en 1897 à Bâle. S’il y eut des projets autres qu’une implantation en Palestine ottomane jusqu’en 1917 puis sous mandat britannique, tous avortèrent.
La déclaration Balfour, datant de 1917, et reprise dans le mandat donné par la Société des Nations au Royaume uni en 1922 entérina le choix de la Palestine (3). L’installation de Juifs en Palestine, qui avait commencé à petits pas depuis le milieu du 19ème siècle, s’intensifia, par rachat de terres aux Palestiniens et implantations urbaines. En 1935, on estime la population juive à 350 000 personnes (4).
La suite, on la connait mieux : après la seconde guerre mondiale et son lot d’assassinés et de réfugiés, la proclamation par l’ONU le 29 novembre 1947 d’un Etat juif et d’un Etat arabe (en trois parties) auxquels s’ajoutait la zone de Jérusalem sous contrôle de l’ONU, le rejet de ce plan par les arabes de Palestine et les pays arabes et certaines organisations juives comme l’Irgoun, et la guerre qui s’ensuivit. Le 14 mai 1948, l’Etat d’Israël, sur une terre plus grande que celle attribuée par l’ONU, représentant 78% de la Palestine mandataire fut proclamé unilatéralement en même temps que prenait fin le mandat britannique. Ce n’est qu’en février / mars 1949 que furent signés les différents accords d’armistice avec les pays limitrophes. Cet Etat était conçu dès sa création pour accueillir tous les Juifs qui le souhaitaient. En 1967, la Guerre des Six Jours conduisit à une occupation par Israël de Gaza et la Cisjordanie, modulée par les accords d’Oslo en 1993, par le retrait de Gaza en 2005 et par l’installation de nouvelles implantations. On en est là !
Le sionisme et les Juifs
Depuis sa création et jusqu’à sa concrétisation avec la naissance d’Israël, le sionisme politique a toujours partagé les Juifs, entre ceux qui considéraient que les Juifs devaient s’intégrer dans leur pays, voire émigrer vers d’autres pays, ceux qui, religieux, estimaient que seul le Messie pouvait créer Israël, ceux qui considéraient que seule l’existence d’un Etat spécifique pour les Juifs pourrait leur permettre de vivre en paix…
Il y a aussi une division entre les tenants d’un sionisme laïc et ceux d’un sionisme religieux avec une tendance actuellement, de la part du gouvernement israélien, à donner de plus en plus de gages au sionisme religieux.
Sionisme et antisionisme
Dès lors qu’existe l’Etat d’Israël, à quoi correspond le terme sionisme ?
Il me semble que le terme sionisme, si on reste dans la définition initiale, vise l’attachement à l’existence pérenne de l’Etat d’Israël, avec la possibilité ouverte pour tout Juif, quel que soit son pays d’origine, de venir vivre en Israël (loi du retour). Un Etat d’Israël conçu comme « Etat-nation » des Juifs, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas l’Etat de tous les Israéliens quelles que soient leur nationalité : Juifs, Arabes, Druzes…
Si Netanyahou a dit, le 10 mars 2019, en pleine campagne électorale : « Israël n’est pas l’Etat de tous ses citoyens. Selon la Loi fondamentale sur l’Etat que nous avons passée (5), Israël est l’Etat-nation du peuple juif, et seulement de lui », le président Reuven Rivlin lui a répondu « Il n’y a pas de citoyens de première classe ».
A l’inverse, être antisioniste signifierait ne pas admettre l’Etat d’Israël en tant qu’Etat refuge possible pour les Juifs du monde entier, mais comme un Etat démocratique, avec un mélange de populations sans prééminence de l’une sur l’autre.
Mais le terme est utilisé également :
- Contre la politique d’implantation de colonies en territoire palestinien
- Contre l’occupation d’une partie du territoire palestinien
- De manière plus générale, contre la politique actuelle du gouvernement israélien, sa politique expansionniste, son blocus économique de Gaza, sa politique souvent discriminatoire à l’égard des populations arabes israéliennes et tendant de plus en plus à faire d’Israël un Etat plus théocratique que démocratique,
ce qui me semble une extension abusive du terme.
Et, encore au-delà, l’antisionisme peut désigner l’objectif de supprimer purement et simplement de la carte l’Etat d’Israël en tant que tel, ce qui est bien sûr inacceptable.
Si on regarde ce qui s’est passé au 20ème siècle, on voit combien l’antisionisme a été utilisé contre les Juifs dans les pays communistes, par exemple dans le procès Slansky qui a eu lieu à Prague en 1952, ou dans le procès des blouses blanches en URSS en 1953. Il est clair que dans ce cas l’antisionisme cachait (mal) l’antisémitisme, comme cela a aussi été le cas dans les pays arabes ou en Iran où les communautés juives ont désormais pratiquement disparu.
Dans la France d’aujourd’hui, écoutez (ou n’écoutez pas) Alain Soral et ses attaques contre le national-sionisme (6), rappelez-vous du gilet jaune salafiste attaquant Alain Finkielkraut aux cris de « barre-toi sale sioniste de merde », « retourne à Tel Aviv », vous y verrez l’utilisation là aussi d’un antisionisme, qui cache mal l’antisémitisme. Concernant les attentats contre l’école juive de Toulouse et l’hypercacher, clairement antisémite, je ne crois même pas qu’il y avait la moindre « couverture » antisioniste.