Partager la publication "Une expérience personnelle : l’enseignement du français aux demandeurs d’asile et réfugiés."
Dans un monde en plein basculement, où la violence de la guerre et du terrorisme le dispute au cynisme, à l’indifférence ou à l’impuissance internationale, poussant à l’exil sur les routes d’Europe ou sur la mer Méditerranée des millions de personnes (voir l’article de Marianne), je me suis demandé comment je pouvais me rendre et me sentir utile depuis ma place de Française, enseignante en lettres et descendante de grands-parents réfugiés en France à la fin des années 1920, qui avaient fui les pogroms en Pologne et Russie, pour trouver une vie meilleure « au pays des Droits de l’Homme ». Depuis un an j’aide des demandeurs d’asile et des réfugiés statutaires à apprendre et comprendre la langue française ou à perfectionner leur niveau. Je pratique ce bénévolat dans le cadre de deux associations très différentes.
La première est une grosse ONG française d’aide aux réfugiés qui emploie 400 personnes et est en charge de 29 CADA (centres d’accueil des demandeurs d’asile) dont les 3000 places sont réparties sur le territoire. Les salariés (juristes, éducateurs, assistants sociaux, conseillers en économie familiale, gestionnaires, comptables) remplissent des missions précises : ils accueillent et hébergent à titre gratuit dans des foyers (adultes isolés) ou des appartements (familles) des demandeurs d’asile le temps de leurs démarches auprès de l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides) ou des recours auprès de la CNDA (cour nationale des droits d’asile), ce qui peut durer plusieurs années. Ils les accompagnent administrativement, socialement et médicalement, scolarisent les enfants de 3 à 16 ans, proposent des activités dont les cours de français. Les CADA (25000 places en tout) qui n’accueillent pas tous les demandeurs d’asile, sont financés par l’Etat français et depuis 2014 par des Fonds d’asile et de migration de l’UE
La seconde, régie par la loi 1901 d’intérêt général, a été créée en 1933 par des intellectuels français engagés pour venir en aide aux intellectuels et étudiants allemands, juifs ou non, réfugiés en France. Actuellement cette association aide les étudiants réfugiés ou en demande d’asile en leur attribuant des bourses payées par des ministères français, des fonds européens et des fonds privés. Les salarié(e)s très peu nombreux(ses), aidés par des bénévoles, proposent des cours de français, des conseils, des aides pour les démarches (administration, hébergement, inscription dans les universités…) Ces réfugiés intègrent des établissements scolaires supérieurs pour poursuivre des études commencées dans leur pays ou pour se reconvertir en l’absence d’équivalence des diplômes. Ces reconversions, au risque parfois d’un « déclassement », ne vont pas sans difficultés d’apprentissage ou psychologiques, surtout quand on a déjà auparavant exercé un métier avec succès. Parallèlement à leurs études, ils passent les examens officiels de FLE (français langue étrangère).
Mon expérience : dans la première association, j’ai affaire à un public très divers dans ses origines géographiques et sociales. Ces adultes viennent de Russie, de Tchétchénie, du Kazakhstan, d’Iran, d’Afghanistan, du Bangladesh pour l’Asie; de Guinée, du Nigéria, du Rwanda, de la République Sahraouie, de Somalie pour l’Afrique. Certains n’ont jamais été scolarisés, d’autres ont fait des études moyennes ou supérieures, les âges sont très divers ainsi que les situations : célibataires, marié(e), certains avec leur famille, d’autres venus seuls. Ils ont tous en commun d’avoir été chassés de leur pays par les génocides, les guerres, les persécutions. On ne s’exile pas par choix. Certains demandent l’asile depuis plus de 2 ans (on sait qu’en France, en 2015, 31,5% des demandes sont satisfaites). En cas de refus de l’OFPRA puis de la CNDA ils devront quitter le « cocon » du CADA pour une situation très incertaine : être reconduit (à quelle frontière?) dans une minorité de cas, ou passer à la clandestinité avant d’être éventuellement régularisés : j’ai eu connaissance de cas dramatiques parmi mes « étudiants » rejetés de l’an dernier.
Chez ces personnes que je rencontre deux heures par semaine je constate une grande envie d’apprendre, de parler, d’avoir des contacts avec des Français (ce qui reste difficile pour eux, même avec des enfants scolarisés). Mais l’humeur fluctue selon les nouvelles et l’avancement des démarches, on sent alors une grande anxiété (avant une audition) ou de l’abattement (après un rejet) traduit en absentéisme. Le manque d’assiduité leur complique la tâche d’autant plus que le français, avec son alphabet différent et ses difficultés idiomatiques, est d’un apprentissage compliqué. Dans ces rencontres on privilégie l’oral, on crée un espace de convivialité où chacun arrive peu à peu à parler aussi de soi. J’apprends aussi beaucoup, c’est une grande leçon d’humanité, une expérience gratifiante. Même si parfois des frottements culturels s’interposent, comme cet homme qui, ne supportant pas que sa femme progresse plus vite que lui, refusait qu’elle puisse aller seule à un autre cours! Il a fallu user d’humour mais aussi de fermeté et je me suis rendu compte qu’une adaptation aux coutumes occidentales ne s’accomplit pas en quelques semaines. Après les vacances tout est rentré dans l’ordre. Chacun se rend séparément à son cours.
L’aide aux étudiants: dans la seconde association l’apprentissage se passe très différemment. J’ai connu cinq jeunes gens venant de Syrie (des noms qui font frissonner : Alep, Damas, Homs). A eux cinq ils représentent tous les aspects disparates de ces sociétés moyen-orientales : deux musulmans se revendiquant laïcs, un chrétien, un druze, une musulmane Kurde. Tous fuient Daech, les autres factions islamistes et le régime d’Assad. De classes supérieures favorisées et très éduquées (un avocat, un étudiant en droit, un dentiste, une professeur d’histoire, une étudiante en master de communication) ils maîtrisent parfaitement l’arabe et l’anglais, apprennent très vite le français et les codes sociaux. Tous obtiennent leur statut assez rapidement (de 6 mois à un an), sont soutenus par des réseaux. Ils veulent se construire un avenir en France. Ce qui n’empêche pas non plus les moments de peur pour la famille restée en Syrie ou de dépression. Les deux étudiants, en intensifiant les cours de français, peuvent espérer continuer leurs études; mais ceux qui avaient un métier doivent reprendre des études pour se reconvertir dans des métiers proches de leur domaine de compétence.
Les cours faits surtout de discussions, de lecture d’articles de presse, sont fluides et féconds et nous échangeons facilement sur nos différences culturelles, politiques et sur l’actualité en France ou dans le monde, sans hésiter à parler de la Syrie. Une complicité est possible au-delà des différences.
En m’aventurant dans cette démarche je ne savais pas bien ce qui m’y attendait. Une chose est d’enseigner les lettres et le théâtre dans un lycée de la banlieue proche parisienne à des adolescents français plus ou moins consentants, fussent-ils d’origines et de parcours divers, une autre est de se confronter à des personnes qui ont traversé des épreuves dangereuses et terrifiantes et ont presque tout perdu, sauf un avenir possible mais pas certain, auquel vous contribuez modestement en ajoutant un peu de savoir et beaucoup de bienveillance.
Notes :
migrant : personne qui se déplace plus ou moins volontairement de son pays vers un autre pour plus d’un an pour différentes raisons (familiales, économiques, études…). La majorité viennent en toute légalité. Ils représentent 4% de l’UE (20,7 millions).
réfugié(e) : selon la Convention de Genève de juillet 1951, un réfugié est une personne qui a été persécutée ou craint de l’être du fait de son appartenance communautaire, de sa religion, de sa nationalité, de son groupe social, de ses opinions politiques, de son orientation sexuelle ou de son genre (ajout de la Directive qualification article 10, depuis 2011) et qui demande protection à un autre pays que le sien qui ne peut la lui assurer. La plupart fuient la guerre.
en France l’OFPRA est saisie par les demandeurs d’asile en première instance. Si la demande est rejetée (dans 77% des cas actuellement) le demandeur saisit la CNDA. Le recours épuisé, le demandeur, théoriquement, ne peut demeurer en France.
Le demandeur d’asile n’a pas le droit de travailler.
Source :
plaquettes de France Terre d’asile et de l’Entraide universitaire française
Je vous conseille de voir (en replay?) Exode, le très impressionnant documentaire de la BBC, diffusé sur Canal+ en version courte le 5 octobre et sur Planète+ en version longue le 6 octobre. Ce film montre le périple pour rejoindre l’Europe d’une dizaine de réfugiés (et de leur famille) filmés soit par les journalistes soit, dans les moments très périlleux, par les migrants eux-mêmes à qui ils ont donné des smartphones. (article du Monde du 1/10/2016).
Merci Reine de nous faire part de cette experience et de ce que tu apportes à tous ces gens.
Merci Reine pour toutes ces infos clairement énoncées. Il y a quelques années j’ai donné des cours d’alphabétisation et de Fle à la « Maison des femmes » d’Asnières. J’ai ainsi côtoyé des femmes d’origines, d’ages, de formations et de motivations très diverses. C’était avant la guerre en Syrie, avant Daech et ces femmes n’avaient, pour la plupart d’entre elles, pas traversé d’épreuves aussi dures que celles que connaissent les réfugiés d’aujourd’hui.