Partager la publication "Visite de l’exposition Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire"
Institut de Monde arabe, du 24 novembre 2021 au 13 mars 2022.
Cette exposition est le dernier volet d’une trilogie consacrée aux héritages culturels du monde arabe, « Haij,le pèlerinage à la Mecque », « Les Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire » et enfin « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire ».
Portant sur une très longue période, elle met en lumière des lieux, des époques, des monuments, montrant la richesse de cette histoire, les liens des communautés juives avec les autres communautés, et sa durée dans le temps.. La présence juive en Orient, depuis plus d’un millénaire avant l’ère chrétienne, est évoquée en distinguant cinq périodes : de l’Antiquité aux premiers temps de l’Islam, le temps des dynasties, le temps des Séfarades, le temps de l’Europe, le temps de l’exil.
Le propos, didactique, rappelle la richesse et la diversité des cultures du Moyen-Orient et, à tous les moments de l’histoire, les échanges et la proximité culturelle des Juifs avec la société qui les entoure. Et, très tôt aussi, la diversité des cultures juives, partagées, entre autres, entre le Talmud de Jerusalem et le Talmud de Babylone.
Au début de l’exposition, une grande carte des communautés juives dans l’Empire romain au 1er siècle donne un aperçu de leur nombre et de leur dispersion autour de la Méditerranée, à un moment où les Juifs ont perdu toute puissance politique liée à un territoire. Traces archéologiques, stèles, objets magiques, mosaïques, manuscrits illustrent les premières étapes du parcours.
Pour la période médiévale en terre d’islam, en Andalousie ou au Maroc, des pièces remarquables et rares comme les documents de la Genizah du Caire*, un émouvant manuscrit de la main de Maïmonide**, de beaux objets cultuels .
L’expulsion des Juifs d’Espagne et du Portugal puis d’Italie à partir de 1492 ouvre une nouvelle diaspora, illustrée par une nouvelle carte, vers la France, les Pays-Bas et surtout dans tout l’empire ottoman. Une belle robe de mariée brodée, un précieux rouleau d’Esther témoignent qu’une partie de la société séfarade s’inscrit alors dans une société raffinée assez tolérante. L’unité religieuse et le sentiment identitaire sont maintenus par la circulation des rabbins et des marchands, par les nombreux échanges familiaux, intellectuels et commerciaux.
Le portrait de Sabbataï Tsevi (1626-1676), kabbaliste auto proclamé Messie et suivi par de nombreux adeptes, rappelle cependant que les schismes sectaires sont toujours possibles et que le Sultan n’était pas prêt à se laisser déposséder de sa couronne : convoqué au Palais, le « messie » garde la vie sauve en se convertissant à l’Islam.
Les deux dernières parties du parcours, concernant principalement les Juifs d’Afrique du nord, sont riches en objets, documents, photos et vidéos. Histoire sensible, liée à la colonisation, dont les plaies ne sont pas toutes refermées. Elles restent donc très factuelles, rappellent le décret Crémieux***, qui attribue d’office, en Algérie, la citoyenneté à tous les Juifs, – ce n’est pas le cas pour les Musulmans – montrent la vie juive avec ses synagogues, et sa culture judéo-arabe par ses vêtements, ses bijoux, ses amulettes, ses musiques. .. L’exil vient ensuite, et une nouvelle dispersion, pour une part en Israël..
Il ne faut pas chercher dans cette exposition le développement ordonné de toute l’histoire juive en Orient. Elle offre sur des points précis jalonnant cette histoire un éclairage important sur des communautés attachées au judaïsme et donne à réfléchir sur leurs transformations, leurs liens avec le monde qui les entoure et leur persistance. Et cela en présentant de très beaux objets, des documents et des manuscrits rares et variés du patrimoine juif et des traces émouvantes des humains pris dans cette histoire.
Cette exposition de l’IMA, qui héberge de longue date les prémices du futur Musée de la Palestine****. s’inscrit dans une politique d’ouverture invitant à la compréhension des liens et des ruptures des populations du monde arabe. Elle concerne les Juifs d’Orient et non Israël, Elle n’en a pas moins suscité un appel au boycott signé par des intellectuels du monde arabe (*****), en raison « de signes de normalisation avec Israël » : le prêt de documents (9 sur une centaine exposés) par le Musée d’Israël à Jérusalem.
Le prétexte est mince et le constat un peu amer pour tous ceux, juifs ou non, qui soutiennent la création d’un Etat palestinien. La solidarité avec le peuple palestinien et la critique de la politique israélienne devraient-elles passer par l’occultation de l’histoire et de la culture juive ? Une telle position est entachée d’un soupçon d’antisémitisme qui ne sert pas la cause palestinienne.
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Notes
* Guenizah du Caire
La Guenizah du Caire est un dépôt d’environ 200 000 manuscrits1 juifs datant de 870 à 1880. Il s’agit de la guenizah (dépôt d’archives sacrées) de la synagogue Ben Ezra du Caire, en Égypte. Les historiens ont identifié plus de sept mille documents.
** Moïse Maïmonide
Moshe ben Maïmon (1138-1204) est un rabbin séfarade né à Cordoue, considéré comme l’une des plus éminentes autorités rabbiniques du Moyen Âge. Il est l’auteur du Mishné Torah, rédigé en hébreu, importan code de loi juive. Il compose également de nombreux traités sur les sciences, ainsi que le Guide des égarés, rédigé autour de 1190 en judéo-arabe, où il entend concilier science et foi. Maïmonide y expose une doctrine assez similaire à celle d’Averroès où la recherche sans préjugés de la « vérité scientifique » n’amène pas à exclure Dieu.
*** Décret Crémieux Wikipédia <https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cret_Cr%C3%A9mieux>
Le décret Crémieux (du nom d’Adolphe Crémieux) est le décret no 136 qui attribue d’office en 1870 la citoyenneté française aux « Israélites indigènes » d’Algérie, c’est-à-dire aux 35 000 « juifs » du territoire. Il est complété par le décret no 137 portant « sur la naturalisation des indigènes musulmans et des étrangers résidant en Algérie » : pour ce qui les concerne, la qualité de citoyen français n’est pas automatique puisqu’elle « ne peut être obtenue qu’à l’âge de vingt et un ans accomplis » et sur leur demande. En pratique, selon l’historien Gilles Manceron, la naturalisation n’est que rarement attribuée aux indigènes musulmans qui restent sous le régime de l’indigénat. Une loi similaire de naturalisation massive et auutomatique, portant cette fois sur les étrangers résidant en Algérie, est promulguée le 26 juin 1889.
**** Musée de la Palestine
« Le 16 octobre 2015, le Président de l’Institut du monde arabe Jack Lang et l’Ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO Elias Sanbar signaient un partenariat pour œuvrer à la création d’un Musée d’art moderne et contemporain en Palestine. Inspiré par le « Musée de l’exil » porté dans les années 80 en Afrique du Sud par des artistes internationaux pour dénoncer l’apartheid, le projet d’un Musée en Palestine est fondé sur le principe d’une collection solidaire, constituée de dons d’artistes. Gérée par une association de droit français, cette collection est conservée à l’Institut du monde arabe, son point d’ancrage, en attendant l’acquisition du terrain et la construction des locaux du musée en Palestine. »
Sur le site de l’Institut du monde arabe <https://www.imarabe.org/fr/expositions/pour-un-musee-en-palestine>
***** Vive controverse entre l’IMA et l’intelligentsia arabe à propos de l’exposition « Juifs d’Orient
Dominique Vidal, Le Monde, 18 décembre 2021.
<https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/13/vive-controverse-entre-l-ima-et-l-intelligentsia-arabe-a-propos-de-l-exposition-juifs-d-orient_6105848_3210.html>