Les élections législatives du 17 mars 2015 en Israël : quelles conséquences?

Rédigé par Reine

En dépit des sondages qui donnaient l’avantage à l’Union sioniste (le parti travailliste et le Hatnuah de Tsipi Livni), la droite a remporté l’élection avec 30 sièges au Likoud contre 24 à l’Union sioniste. Après 40 jours d’âpres négociations, Benjamin Netanyahou a présenté son quatrième gouvernement devant la Knesset qui l’a approuvé à 61 voix contre 120. Pour parvenir à cette courte voix de majorité, il s’est entouré de ses alliés du gouvernement précédent : le centre droit (Koulanou) d’un ancien du Likoud, Moshe Kahlon, et deux partis religieux ultra-orthodoxes : le Yahaduth Hatorah (ashkénaze) et le Shas (séfarade). Mais comme son ancien ministre des affaires étrangères Avigdor Liebermann, chef du part ultra-nationaliste Israël Beytenou, a démissionné le 4 mars et refuse de faire entrer son parti au gouvernement, le premier ministre a dû se tourner vers le parti du Foyer juif (Habayit Ha Yehudi), nationaliste et religieux sioniste qui, malgré son faible score électoral de 8 sièges, obtient des postes clés : éducation, agriculture et justice.

Ce gouvernement très ancré à droite et à l’extrême droite religieuse va renforcer sa politique précédente, malgré une situation socio-économique explosive (rappelons-nous le mouvement des « tentes » de 2011), et une position très dégradée sur la scène internationale. Quand on sait que les prix des appartements, en 5 ans, ont augmenté de 55% à la vente, de 30% à la location et que 20% des Israéliens vivent dans la pauvreté, que pourra faire un réformiste comme Moshe Kahlon aux finances quand des garanties ont été données aux religieux d’augmenter leurs subventions publiques? Et aux colons, d’augmenter les subventions allouées aux constructions dans les colonies?
Plus inquiétant encore : Benjamin Netanyahou qui n’a pas hésité dans sa campagne électorale à affirmer clairement son hostilité à l’établissement d’un état palestinien (avant de se rétracter) s’est entouré ici de personnalités provocatrices, aux discours racistes, qui peuvent même aller jusqu’à mettre en faillite la démocratie, qualité précieuse dans cette région . Par exemple il a nommé Ayelet Shaked (Foyer juif) à la Justice, une femme qui en plus d’être homophobe a appelé publiquement sur Facebook à la destruction du peuple palestinien (avant de se rétracter). Quand on pense qu’elle va également présider le comité ministériel de la législation et qu’elle désire mater la Cour Suprême universellement reconnue comme recours démocratique, en intervenant dans la nomination des juges! Sans parler de Naftali Bennett (éducation) et de Uri Ariel (agriculture) qui prônent l’annexion pure et simple de 60% de la Cisjordanie occupée, de Eli Ben-Bahan (adjoint à la Défense) qui traite les Palestiniens « d’animaux », de Miki Regev (culture et sports) qui a eu des paroles racistes envers les Soudanais qui vivent en Israël,et qui vient de traiter les députés arabes élus à la Knesset de « traîtres et de chevaux de Troie » et qui s’apprête à censurer ce qu’elle appelle « les institutions élitistes de gauche ». Ou encore Tzipi Hotovely, vice-ministre des affaires étrangères, une femme ultra-orthodoxe du Likoud, dont les discours se réfèrent à la Bible et qui a déclaré publiquement en juillet 2012 : « Cette terre est à nous, toute cette terre…Nous devons demander la souveraineté de toute la Judée et de toute la Samarie sans nous en excuser ». Benjamin Netanyahou, qui s’est fait élire sur les peurs (peur des citoyens arabes israéliens en particulier), s’est entouré de ministres bien peu fréquentables, lui qui jusque-là avait pris soin , par rapport à la communauté internationale, de ne pas dépasser certaines limites, du moins dans ses paroles, mise à part son intervention, 15 jours avant les élections, devant le Congrès américain en courtcircuitant le Président Obama.

Cette coalition, qualifiée par le chef des travaillistes de « gouvernement de faillite nationale » risque d’être rapidement démantelée par ses dissensions internes. En outre, au moment où Israël est relativement isolé sur la scène internationale lasse de l’occupation des Territoires, en mauvais termes avec les USA, menacé de sanctions économiques par l’Union européenne, disqualifié par l’accord international sur le nucléaire iranien, confronté à l’offensive diplomatico-judiciaire de l’Autorité palestinienne (reconnaissance de la Palestine par plusieurs parlements européens, admission à l’Unesco, à la Cour pénale internationale, état-observateur à l’Assemblée générale des Nations Unies, demande de suspension d’Israël de la Fifa…) c’est une bien piètre image qui est envoyée par ce gouvernement. A court et moyen terme la volonté expansionniste, le refus des négociations et l’absence de perspectives de paix risquent d’avoir des répercussions sur les Juifs d’Europe en butte à un antisémitisme croissant, dont l’absence d’état palestinien peut être une des composantes revendiquée. A plus long terme n’est-ce-pas l’Etat d’Israël lui-même qui se met en péril en s’isolant ainsi, gouverné par des « faucons » de plus en plus durs et menacé par les guerres inquiétantes qui font rage à ses frontières? Benjamin Netanyahou semble bien, selon les propos d’Elie Barnavi (ancien ambassadeur d’Israël en France,) avoir obtenu « une victoire à la Pyrrhus ».

Il ne s’agit pas de prendre l’Etat d’Israël comme bouc émissaire alors qu’il est un état démocratique « à l’occidentale » au Proche Orient si déstabilisé politiquement. Mais c’est précisément parce qu’il est démocratique et aussi parce que le chef de ce gouvernement prétend parler au nom de tous les Juifs d’Europe (voir sur ce blog Lettre à Monsieur Netanyahou) que nous devons, même si nous ne sommes pas citoyens israéliens mais Juifs de la diaspora, pointer les entailles profondes qui fragilisent les valeurs fondamentales de cette démocratie (colonisation surtout mais aussi ostracisation des non-juifs dans le pays). Les voix israéliennes qui se font entendre contre cette situation sont très minoritaires et ne se traduisent pas du tout dans les résultats aux élections. Ce que Gidéon Lévy, journaliste au Haaretz| (journal classé à gauche) résume ainsi avec une ironie cinglante dans sa rubrique du 10 mai 2015 :  » Le 34 ème gouvernement méritera Israël, Israël méritera le 34 ème gouvernement. Il est représentatif de l’esprit du temps et des sentiments profonds de la plupart des Israéliens… C’est ce que les Israéliens ont choisi, il correspond à leurs véritables attentes… Un gouvernement sans parole creuse, sans faux-semblant, la solution des 2 Etats est morte ».

Références

Au sujet des trois femmes ministres : voir article du 15/06/2015 de Piotr Smolar dans Le Monde
Gidéon Lévy : article du 10/05/2015 dans Haaretz

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1 réponse à Les élections législatives du 17 mars 2015 en Israël : quelles conséquences?

  1. Eve dit :

    Tres bonne analyse ! Merci

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