Les Falashas et Israël

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Opération Moïse (1984)                                                Jeunes Israéliens d’origine éthiopienne                                                                                                            (2015)

Les Falashas, dont le nom, employé par les autres Ethiopiens et ressenti comme péjoratif, signifie dans sa racine guèze ( langue éthiopienne savante et liturgique) « émigré, étranger, sans-terre », sont un peuple qui vit dans le nord de l’Ethiopie depuis l’Antiquité et qui se revendique et se nomme lui-même « Beta Israël » (maison, famille d’Israël). Depuis 1975 ils sont reconnus comme juifs par le Rabbinat et le gouvernement d’Israël et ont obtenu à ce titre de bénéficier de la loi du Retour*.

Leurs origines restent assez obscures. On sait qu’ils appartiennent au peuple agäw, premiers indigènes d’Ethiopie, issus de peuplades couchitiques* et sémitiques. Les historiens disposent de très peu de sources claires avant le XIVè siècle. Une première hypothèse suppose la présence, jusqu’au Vè siècle ap.J.C, de Juifs en Ethiopie venus de la Mer rouge qui auraient accru leur population par des mariages et des conversions. Une seconde hypothèse affirme que les Beta Israël viendraient de groupes chrétiens fondamentalistes refusant le Nouveau Testament et possédant une tradition monastique. Les deux hypothèses prévalent et se chevauchent parfois, aucune n’étant assurée.
Par ailleurs les Falashas se définissent eux-mêmes à travers deux récits mythiques : le premier fait intervenir Ménélik, fils du couple légendaire de Salomon et de la Reine de Saba, qui aurait emmené d’Israël avec lui des juifs pour porter l’arche d’alliance en Ethiopie. Le second récit imagine que les Falashas sont les descendants d’une des dix Tribus perdues d’Israël déportées par les Assyriens en -722, la Tribu de Dan, qui se serait exilée en Ethiopie. Cette dernière thèse est acceptée par le Rabbinat israélien.

Leur religion en Ethiopie se réclame du Judaïsme mais en diffère sur de nombreux points du Judaïsme que nous connaissons. Elle s’appuie sur le Pentateuque* et sur certains livres de la Septante* tous traduits en guèze, jamais sur le Talmud*. Ils ne pratiquent que les fêtes mentionnées dans leur ensemble biblique (en particulier la Pâque, le Nouvel an et le Grand Pardon) mais suivent d’autres rites et commettent des sacrifices d’animaux, de l’agneau pascal par exemple. Les règles de purification sont très strictes (« huttes de sang » pour isoler les femmes réglées ou venant d’accoucher) et ils fuient tout contact charnel avec les autres communautés. Ils n’ont pas de synagogues, mais des lieux de prosternation, les »masgid ». Pas de rabbins mais des prêtres et des moines jusqu’au milieu du XXè siècle. Ils n’adoptent pas l’étoile, signe des Négus chrétiens.

L’Histoire moderne et contemporaine des Falashas témoigne d’un isolement et d’une résistance quasi-constante au pouvoir central éthiopien (Empereurs, Seigneurs de guerre, le Derg, pouvoir de type socialiste de 1974) qui les opprime, les force parfois à se convertir ou les massacre. Ils deviennent des « falasi », du XIVè au XVIIè siècle des paysans sans terre et aux XVIII et XIXè siècles des forgerons et des potiers, métiers de « sorciers ». A la fin du XIXè siècle des missionnaires protestants tentent de les convertir. Les 2000 qui le feront seront appelés Falashas Mura (équivalent lointain des Marranes* en Espagne).
Leurs premiers contacts avec le Judaïsme occidental ont lieu en 1904-1905, lors de la visite de Jacques Faitlovitch, un Français juif financé par les Rothschild. Cet émissaire qui veut les faire reconnaître comme juifs ouvre des écoles juives dans leurs villages et tente de réformer leur pratique religieuse.

Les Falashas et Israël : jusqu’en 1973 les Beta Israël ne sont pas reconnus comme juifs par les Rabbins d’Israël. En Ethiopie entre 1948 et 1975 ils sont affaiblis et menacés de disparition à cause des guerres civiles, des famines. Beaucoup se réfugient dans le sud du Soudan. D’une population de 500 000 personnes au XVIè siècle, il reste dans les années 1940 moins de 30 000 Ethiopiens juifs.  A partir de 1975, reconnus par les Grands Rabbins et les politiques israéliens, ils vont pour la majorité émigrer sous la houlette du gouvernement Rabin et des gouvernements suivants. Plusieurs vagues ont lieu entre 1977 et 1991 avec deux opérations d’envergure : l’opération Moïse (1984) qui exfiltre secrètement du Soudan 6000 juifs éthiopiens et l’opération Salomon (1991) qui évacue en deux jours, par 34 ponts aériens, 15 000 Falashas réfugiés à Addis-Abeba.
Depuis cette date des Falashas « font leur alyah »* par petits groupes, soit officiellement, s’ils ont des parents juifs, soit clandestinement s’ils sont des Mura. En 2016 tous les Ethiopiens reconnus comme juifs sont partis, il reste environ 9000 Falashas Mura qui demandent à émigrer, en attente de conversion. Le gouvernement actuel a rendu des arrêtés pour qu’ils soient tous accueillis d’ici 2021, l’un des buts, comme pour les juifs de France, étant sans doute d’augmenter la population juive du pays.

infog-falashas(cliquer sur le graphique pour agrandir)

La situation actuelle des « Etiopim » en Israël est contrastée et encore difficile. La première génération émigrée a vécu un immense choc culturel, croyant arriver dans un pays « biblique » et se confrontant à un pays moderne, occidentalisé, et « blanc ». On remet en cause leurs pratiques religieuses, leurs prêtres ne sont pas reconnus comme rabbins, on les oblige à changer leurs prénoms et noms ancestraux (ce qui n’est pas toujours une obligation pour d’autres immigrants), à se soigner autrement. L’apprentissage de l’hébreu est compliqué pour ces populations rurales et souvent analphabètes.
Leur intégration sociale et économique est et reste difficile car ils ne possèdent pas de qualification professionnelle adéquate. On les loge longtemps dans des parcs de mobile-home à la périphérie des villes et quand ils en sortent ils habitent des quartiers pauvres et ghettoïsés, comme à Yaffo par exemple, au sud de Tel-Aviv. La seconde génération, née en Israël, s’intègre mieux par l’école et l’armée et connaît des conflits de génération avec les parents. Pour s’affirmer elle revendique une culture afro-américaine issue du reggae et du rap. Si leurs parents ont connu un chômage massif (65% des plus de 45 ans en 2005), les jeunes réussissent mieux qu’eux, mais moins bien que les autres Israéliens de leurs classes d’âge, toutes origines confondues. 52% des familles etiopim vivent en-dessous du seuil de pauvreté contre 16% pour les autres israéliens juifs.  Il n’y a pas encore de véritable classe moyenne d’origine éthiopienne. Et la délinquance des jeunes est trois fois plus élevée.

Comment sont-ils considérés? Au début bien accueillis par des Israéliens solidaires, ils ont été peu à peu victimes, comme dans de très nombreux pays de « blancs », d’un racisme anti-noir, anti-ethnique comme en témoignent plusieurs scandales, révélés par des médias israéliens, qui ont agité l’opinion : en 1996 dons de sang d’Ethiopiens discrètement détruits par les services de santé;  l’affaire des contraceptifs administrés dans les années 2000 à des femmes éthiopiennes à leur insu, révélée en 2012 par la chaîne éducative israélienne de télévision IETV ; ou encore en 2015 le tabassage par des policiers d’un soldat, éthiopien  d’origine et avéré innocent, révélé par une vidéo amateur. Ces affaires ont amené la communauté à s’organiser et mener des protestations collectives (meetings, manifestations…)
Mais le tableau n’est pas totalement négatif. Les gouvernements successifs font des efforts pour les intégrer en instituant par exemple de la discrimination positive pour l’inscription en université. En ce qui concerne la religion, on leur permet quelques rites et pèlerinages spécifiques et certains, après des études dans une yeshiva, deviennent rabbins.
Le melting pot de l’armée joue son rôle et l’on voit émerger des médecins, des juristes, des chefs d’Etat major, des ambassadeurs, des parlementaires, à côté de sportifs de haut niveau et même une Miss Israël d’origine éthiopienne en 2013.

Il y a aujourd’hui environ 140 000 Israéliens d’origine éthiopienne, dont 50 000 Sabras.* Beaucoup d’entre eux, dans un tourisme « des origines » retournent régulièrement au pays visiter leur famille Mura, voir des guérisseurs, entretenir les cimetières.
On attend dans l’avenir une bien meilleure intégration des Fallashas si les Israéliens admettent que  » l’éthiopianité ne menace en rien l’identité israélienne », comme le souligne l’anthropologue Lisa Anteby Yemini.

NOTES

loi du Retour : votée en 1950, elle permet à tout juif et sa famille d’immigrer en Israël.
couchitique : peuple et langue de la corne de l’est en Afrique
Pentateuque : 5 premiers livres de la Bible (Torah pour les Juifs).
Septante : traduction de l’Ancien Testament en grec.
Talmud : texte fondamental du Judaïsme rabbinique, base de la Loi (Halakha).
Marranes : Juifs espagnols et portugais, convertis de force au Catholicisme, qui pratiquaient le Judaïsme en secret.
faire son alyah : immigrer en Israël (alyah=ascension).
Sabras : de l’hébreu cactus ou figues de barbarie. Juifs nés en Israël.

Sources

Site cairn.info : article de Daniel Friedmann
Site wikipedia : Falashas
Le Monde : article du 21 septembre 2016, Ne m’oublie pas, Jérusalem.
France Culture : émission du 30/07/2016, Les hommes aux semelles de vent à écouter. Commentaires de Lisa Anteby-Yemini, anthropologue au CNRS.

Conseil

Film Va, vis et deviens de Radu Mihaileanu (2005). En DVD.
Lors de l’opération  Moïse en 1984, une mère éthiopienne chrétienne pousse son fils à se faire passer pour juif pour connaître une vie meilleure en Israël.

 

 

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