Nationalité et citoyenneté en Israël

ob_e2cccd_ben-gourion-620-620x349

David Ben Gourion le 14 mai 1948, date de la création d’Israël.

 

A l’heure où le débat sur la déchéance de la nationalité agite les Français et leurs représentants, j’ai eu envie de repréciser les notions de nationalité et de citoyenneté dans l’Etat d’Israël où la situation est extrêmement complexe et ambiguë. Et depuis 2009 elle s’avère explosive, dans la mesure où Benjamin Netanyaou pose, comme préalable à la création d’un Etat palestinien, la reconnaissance « d’Israël comme Etat-nation du peuple juif », par la communauté internationale, l’Autorité palestinienne et l’ensemble des Etats arabes. Il a à ce sujet déposé un projet de loi en novembre 2014 qui, dans les Lois fondamentales qui servent de constitution, remplacerait la définition « d’Israël, Etat juif et démocratique » par celle « d’Etat-nation du peuple juif ».
Cette revendication sur laquelle le gouvernement veut définitivement légiférer s’inscrit dans une tradition historique ancienne commencée en 1917 avec la Déclaration Balfour, puis continuée par les  Britanniques en 1922 et  la Société des Nations, qui prévoyaient un « foyer national pour le peuple juif en Palestine ». Le 29 novembre 1947 une résolution de l’ONU partage de fait la Palestine en deux Etats, l’un juif, l’autre arabe.
Or en même temps, lors de la création d’Israël en 1948, les signataires de la déclaration d’indépendance prônaient des valeurs universalistes, donc une égalité des citoyens sans distinction de « religion, d’ethnie, de sexe ». Le premier Président Chaïm Weizmann déclare : « Le monde jugera l’Etat juif à la façon dont il traitera les Arabes. » Israël est politiquement fondée sur une démocratie, dès 1948, seul régime de ce type dans la région à côté de pays voisins autoritaires. Comment analyser cette contradiction interne qui met en tension l’universalisme de certaines démocraties avec un Etat lié institutionnellement au peuple juif? Quelle place l’Etat accorde-t-il aux autres nationalités?

Revenons en arrière. Théodore Herzl, instigateur de la pensée sioniste en 1897, comme les premiers fondateurs de l’Etat, s’ils revendiquent la création d’un Etat « juif et démocratique », rejettent toute idée de théocratie. Dès les premières années, les 160 000 Arabes et les autres peuples qui sont restés en Israël sont reconnus comme citoyens israéliens (loi de 1952) mais sans en avoir la nationalité.  Cependant, parce que beaucoup d’entre eux ont pris les armes contre Israël lors de la guerre d’indépendance, les Arabes israéliens sont traités collectivement en ennemis par le gouvernement militaire  de David Ben Gourion et de Moshé Dayan. Ils sont expulsés dans les pays voisins quand ils habitent près des frontières, leurs terres sont récupérées  (loi de 1950 à 1960 sur les « présents-absents »), ils subissent des restrictions de déplacement, sont assignés à résidence, les partis politiques leur sont fermés sauf le Mapam, parti ouvrier marxiste (1948-1990). Cette population arabe majoritairement rurale, privée d’élites passées dans les pays voisins, est discriminée dans un statut de seconde zone.

Actuellement sur les documents officiels d’état civil des Israéliens, on distingue la citoyenneté (ezraht) de la nationalité (le’um) (liée à la notion de peuple comme dans les territoires d’Europe de l’Est où ont vécu les premiers dirigeants et rédacteurs des Lois fondamentales, habitués aux logiques communautaristes). On reconnaît cinq nationalités : arabe (chrétiens et musulmans), 19,5%, bédouine 2% , circassienne petit groupe sunnite du Caucase de 3500 personnes, druze, 1,6%  et juive, 75%. Les juifs (nés de mère juive ou convertis) bénéficient de la loi du Retour (1950) qui permet à tout juif de la diaspora d’émigrer en Israël (ainsi que conjoint et parents proches même non-juifs). On s’aperçoit là que c’est davantage sur le critère ethnique et/ou familial que sur le critère religieux que la nationalité israélienne juive s’établit. Actuellement de 20 à 30% des immigrés russes ou éthiopiens ne seraient pas juifs. Par conséquent les juifs ont un droit inconditionnel à la citoyenneté, même bi-nationaux et habitant un autre pays ; pour les autres, c’est un droit conditionnel puisqu’ils sont tenus à une résidence ininterrompue, en Israël ou à Jérusalem Est.
De plus, la loi du Retour apporte des exemptions fiscales, des facilités d’emprunts, des aides à l’installation versées par l’Agence juive et le Fonds national juif, organisations internationales qui ont des conventions avec l’Etat et gèrent 19% des terres israéliennes incessibles à un non-juif. Le service militaire, sésame pour les relations, les études supérieures et le monde du travail, est obligatoire pour tous les juifs, hommes et femmes ,(sauf jusqu’en 2017 pour les ultra-orthodoxes), pour les hommes druzes et circassiens, permis aux volontaires bédouins (que l’Etat tente de sédentariser) mais interdit aux arabes (cependant il y a maintenant des exceptions). Le passage par l’armée permet aussi d’obtenir des allocations familiales beaucoup plus importantes : mais contradiction supplémentaire, les ultra-religieux juifs qui ne font pas l’armée reçoivent des subsides très importants de l’Etat. Les fonds alloués par le gouvernement aux villes à majorité juive et aux écoles juives sont plus importants que pour les villes et les écoles arabes comme à Nazareth.

Il y a eu cependant quelques avancées démocratiques. Depuis l’abolition du gouvernement militaire en 1966, les libertés publiques sont données à tous les citoyens par les tribunaux et leur garant absolu, la Cour Suprême : droits de déplacement, d’expression, de réunion. Les Arabes peuvent être membres du syndicat Histadrout* et depuis 1973 du Parti Travailliste (bien qu’ils préfèrent les coalitions plus à gauche). Il y a des représentants non juifs dans le pouvoir local et  à la Knesset, il y a eu deux fois un ministre arabe, en 2001 et en 2007, au gouvernement. Les ministres de tous les cultes sont reconnus dans leur autonomie et payés par l’Etat, des fonds publics sont donnés aux églises et aux mosquées comme aux synagogues. Un arrêté de la Cour Suprême de mars 2000 a rendu illégale la discrimination ethnique dans l’attribution des terres. Depuis 1977 les allocations ne sont plus réservées aux soldats, les droits pour l’instruction universitaire s’égalisent. On peut remarquer que le taux de scolarisation et d’éducation des arabes israéliens est en hausse, entre 1961 et 1996 il est passé de 1 à 10 ans d’étude, même s’il demeure un peu plus faible que celui des juifs.
En revanche les embauches dans des secteurs sensibles comme l’électronique ou l’aéronautique restent fermées aux non-juifs pour des raisons sécuritaires et dans un autre domaine on peut noter que les manifestations politiques arabes en Israël sont plus fortement réprimées que les autres.

Conclusion

Le régime politique israélien a une base démocratique certaine (élections fréquentes, droits de l’opposition, Cour Suprême qui régule le droit et menace à terme toutes les pratiques discriminatoires) et en cela s’apparente à un pays occidental. Il accorde la citoyenneté à tous ses habitants et se distingue de ses pays voisins du Proche et du Moyen Orient que les Juifs ont dû fuir tant ils y étaient discriminés et en danger ( Irak, Iran, Egypte en particulier). Mais la définition « ethnico-religieuse » de l’Etat israélien empêche un traitement totalement égalitaire des citoyens. Cet Etat appartient préférentiellement non seulement aux juifs israéliens mais aussi, virtuellement, aux deux tiers des juifs dans le monde qui vivent en diaspora. D’où cette assimilation constante, en France particulièrement, de tout juif à Israël, ce que nous récusons ici. Nous nous trouvons face au concept singulier et complexe d’une démocratie « ethnique » comme la nomme Sammy Smoohar, sociologue israélien. Une notion bien floue qui a empêché l’élaboration et l’écriture d’une véritable Constitution. Même un juif ne peut se prévaloir d’appartenir à un groupe ethnique israélien (plusieurs refus de la Cour Suprême). Il n’y a pas d’Etat civil, ce sont les autorités religieuses qui règlent les mariages et les divorces à l’intérieur de chaque communauté religieuse*. Les mariages laïcs ou très rarement interconfessionnels se font à l’étranger, le plus souvent à Chypre.
Dans cette société traversée actuellement par des courants sionistes opposés (laïcs contre religieux), dans une situation régionale des plus violentes et incertaines, Israël peut se sentir menacé dans son existence même. Mais faire de cette reconnaissance du caractère juif de l’Etat un préalable aux négociations avec les Palestiniens -ce que soutiennent les USA et les Pays-Bas mais récusent la Grande-Bretagne, la Russie et la Belgique ainsi que l’Autorité palestinienne- rajoute un obstacle de taille aux pourparlers de paix. Quand on sait que par ailleurs le Hamas qui gouverne Gaza refuse de reconnaître l’existence d’Israël! Un cercle sans fin.
Enfin, la poursuite de la colonisation en CisJordanie, les paroles haineuses, envers les arabes israéliens, de Benjamin Netanyaou et de certains de ses futurs ministres lors de la dernière campagne électorale (2015) et les discriminations effectives qui subsistent risquent de faire advenir en Israël un ennemi intérieur, comme on l’a vu récemment dans plusieurs attentats dont celui perpétré par un Arabe d’Israël qui a tué deux personnes dans un café de Tel-Aviv le 1er janvier 2016. Une situation préoccupante.

Sources

Site les Clés du Moyen Orient, article de Mélanie Le Hay (septembre 2013).

Article d’Alain Dieckhoff, directeur au CNRS en sociologie et professeur à l’IEP de Paris, dans Confluences Méditerranée 2005/3 n°543 n°54

Site Medea institut.

*Syndicat Histadrout : syndicat des travailleurs juifs d’Israël, créé en 1920, dirigé à son origine par Ben Gourion, et toujours en activité. Implanté dans les entreprises, les kibboutz, les organisations de jeunesse, la culture, à son apogée dans les année 1970 il contrôle  plus de 30% de l’économie. Il est lié au Parti travailliste et accepte des adhérents arabes.

*Au sujet des divorces religieux, je vous renvoie au beau film édifiant de Shlomi et Ronit  Elkabetz, Guett, le procès de Viviane Amsalem (2014) en DVD.

Ce contenu a été publié dans Israël-Palestine, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

1 réponse à Nationalité et citoyenneté en Israël

  1. Lavaleve dit :

    « mais faire de cette reconnaissance du caractère juif de l’Etat un préalable aux négociations avec les Palestiniens -ce que soutiennent les USA et les Pays-Bas mais récusent la Grande-Bretagne, la Russie et la Belgique ainsi que l’Autorité palestinienne- rajoute un obstacle de taille aux pourparlers de paix »..
    Quelle est la position du gouvernement français actuel sur ce point ?
    En tout cas merci pour ces info tjrs très claires et interessantes
    Eve

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *