Une femme fuyant l’annonce

 

Rédigé par Reine.

Une femme fuyant l’annonce                         une femme fuyant
(roman de David Grossman)

En hommage à Uri Grossman, ce roman *, commencé en 2003, n’a pas pu prémunir son auteur de la mort de son fils tué lors de la guerre au Liban en 2006. Une postface de l’écrivain évoque pudiquement cet évènement.
Si ces 650 pages (une masse que j’ai fiévreusement parcourue) pansent et pensent les blessures du romancier, elles réussissent aussi à nous bouleverser et à nous faire réfléchir sur la société israélienne confrontée à la guerre et à la colonisation.

Deux périodes Deux périodes jalonnent le récit : un prologue de 65 pages situé pendant la guerre des 6 jours en 1967. Trois adolescents de 15 ans Ora, Avram et Ilan sont les seuls patients d’un hôpital, mis en quarantaine et abandonnés aux soins d’une infirmière, tandis que la guerre fait rage au-dehors. L’isolement et la maladie les réunissent, la fièvre les fait délirer, ils imaginent même qu’Israël est tombé aux mains des Arabes. Ora (lumière en hébreu, prière en latin) tisse un lien amoureux avec les deux jeunes hommes et cette rencontre « à la Jules et Jim » va marquer durablement leurs destins. En 2000, on retrouve Ora, 33 ans après, près de Jérusalem. Elle a épousé Ilan, et ils ont élevé deux fils, Adam et Ofer. Ilan, qui veut divorcer, l’a quittée récemment « pour jouer l’adolescent », dit-elle, et a emmené leur fils Adam avec lui en Amérique du Sud. Ofer vient de terminer son service militaire et doit partir avec sa mère faire une randonnée en Galilée pour fêter sa démobilisation. Mais le destin s’interpose : Ofer, frustré d’une « vraie guerre » , repart immédiatement s’enrôler dans une offensive imminente au Liban. Ora, morte d’angoisse, décide alors de fuir sa maison, persuadée qu’Ofer sera protégé si elle est absente au moment de l’annonce possible de sa mort. Pensée magique qui lui permet d’accomplir quand même la randonnée mais avec Avram, son ancien amant et véritable père d’Ofer.
Nous les suivons en Galilée, terre poétique par la beauté de ses paysages, de sa faune et de sa flore mais également territoire symbolique de tout l’Etat d’Israël, puisque Ora et Avram, dans leur périple, sont confrontés à ses frontières et aux tombes des soldats qui y sont morts. L’intime et le collectif se mêlent étroitement : la rencontre lors de la guerre des 6 jours en 1967, la détention d’Avram pendant la guerre de Kippour en 1973, prisonnier des Egyptiens qui l’ont torturé, le départ d’Ofer au Liban. La condition difficile des Arabes israéliens et des Palestiniens est évoquée à travers les problèmes de vie quotidienne que subissent l’ami taxi d’Ora et sa famille. La narration montre bien à quel point la pensée obsédante de la guerre et la mauvaise conscience liée à l’occupation des Territoires rejaillit sur la vie familiale et les relations humaines en général. Grâce aux mots d’Ora, la randonnée conduit Avram à se réapproprier son passé et le remet sur le chemin de la paternité et de l’amour.
La fin est ouverte, à nous d’imaginer ce qu’il advient d’Ofer, d’Ora, d’Avram, d’Ilan et d’Adam .

Un livre magnifique
En plus d’être passionnant par ses personnages et par les questions philosophiques et politiques qu’il soulève, le livre est magnifiquement écrit, entremêlant poésie et humour. Le discours oral et le monologue intérieur témoignent du style habituel de l’auteur, subtil, complexe et cependant accessible au lecteur qui peut s’en imprégner sensuellement.
David Grossman touche ainsi à l’universel avec le portrait de cette « mater dolorosa » qui ne se laisse pas abattre et lutte contre la peur de la mort avec ses paroles et sa formidable vitalité. Elle est bien sûr l’avatar principal du romancier qui transcende son deuil par cet hymne à la vie. Une immense leçon d’humanité.

Notes

  • David Grossman, Une femme fuyant l’annonce (Le Seuil, 2010, publié en Israël en 2008).
  • Pour la biographie de David Grossman, voir le site maclarema (chapitre Forces de paix, Ecrivains engagés).
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