Valse avec Bachir

Rédigé par Reine. téléchargement

Valse avec Bachir
(film animé d’Ari Folman)

Dans une forme nouvelle et unique *, Ari Folman nous entraîne dans un souvenir confus de « sa » guerre au Liban au cours de l’opération Paix en Galilée (période juin-septembre 1982), l’année de ses 19 ans.
En 2006, il rencontre son ami Boaz qui évoque le cauchemar qu’il fait toutes les nuits depuis deux ans : des chiens effrayants aux yeux jaunes courent en hurlant et sèment la terreur dans son quartier à Tel-Aviv.

Un ressurgissement traumatique

Boaz pense qu’il s’agit des chiens qu’il a tués pendant sa mobilisation au Liban. A partir de là Ari Folman se rend compte qu’il a tout oublié de cette période et se propose de remonter dans ses souvenirs. La scène des chiens devient la scène inaugurale de son film. Il écrit son scénario en six jours en 2007, au moment où il a demandé à ne plus être .
Le psychothérapeute qu’il rencontre à cette occasion lui suggère, pour qu’il parvienne à affronter le passé, de rencontrer ses compagnons d’armes qui peut-être pourront l’aider à y voir plus clair.

La quête du passé

Cette quête du passé, du rôle d’Ari pendant la guerre est l’objet du film qui se déploie comme une longue anamnèse (remontée) psychanalytique. Il existe une tension entre des scènes réalistes (interviews des amis nommés et dessinés précisément par exemple) et des scènes oniriques et fantasmatiques (son ami Cami sur un bateau au large de Beyrouth s’imagine séduire une immense sirène érotique et maternelle surgie des flots; Ari au milieu de l’aéroport de Beyrouth totalement vide se met à rêver à des voyages autour du monde en lisant les panneaux d’annonce dérisoires).

Le film évolue selon le surgissement des souvenirs: l’attaque malheureuse d’une voiture de civils, la mort d’un enfant palestinien lanceur de roquettes dans une oliveraie, l’odeur de patchouli d’un camarade, les permissions à Tel-Aviv où il erre comme un étranger, la rupture d’avec sa petite amie de l’époque. Le rêve personnel récurrent de l’auteur, représenté dans des couleurs chaudes brun-orangé, rythme par 3 fois le récit, tel une énigme du Sphinx: accompagné de deux soldats Ari flotte dans la mer tandis que Beyrouth est illuminée par des fusées. Les trois hommes sortent nus de l’eau, remettent leurs uniformes, reprennent leurs armes et remontent vers le centre de Beyrouth en croisant des femmes en noir qui pleurent et hurlent.

Par ailleurs le moment central du film explique le titre: lors d’un combat à un carrefour de Beyrouth son camarade Frenkel se met à tirer très longuement avec son arme en tournant sur lui-même comme dans une valse, seul au monde et inconscient du danger, à quelques mètres d’une immense affiche de Bachir Gemayel, le chef vénéré des phalangistes chrétiens, assassiné peu avant. Une métaphore des liens entre les Israéliens et les Libanais chrétiens qui luttaient contre les Palestiniens et les Syriens dans un contexte très complexe de guerre civile au Liban?

Devoir de mémoire

A la fin du film conçu comme un devoir de mémoire, le cinéaste découvre qu’en fait, posté avec sa garnison sur des toits, il éclairait à l’aide de projecteurs et de fusées les phalangistes qui avaient pénétré dans les camps de Sabra et de Chatila pour y commettre les massacres que l’on sait (16-17 septembre 1982). Cette découverte est pour Ari Folman l’expérience d’une profonde culpabilité qui avait enfoui dans son inconscient la réalité de sa participation. Culpabilité individuelle, culpabilité collective. Très éprouvante pour ces soldats qui sont souvent aussi des fils de déportés: les faits de 1982 sont mis en parallèle avec les récits sur la Shoah du père d’Ari et par son ami psychanalyste Ori. On peut noter à cet égard que la sortie des survivants du camp de Sabra est traitée visuellement de la même façon que la photo de l’enfant du ghetto de Varsovie.
A la fin, les images de la BBC, les seules réelles, qui montrent la découverte des morts par leurs familles, jouent leur rôle d’archives et sont une véritable claque pour le spectateur.

« On tire et on pleure »

Ce film bouleversant interroge, comme Apocalypse now de Coppola ou Full metal jacket de Kubrick, sur l’absurdité de la guerre, sur ses atrocités, qui n’épargnent pas les civils et sur les traumatismes qu’elle entraîne chez les appelés. Les moments décalés – « surréalistes comme la guerre », dit Ari Folman » – poétiques, permettent de tenir le choc.
Cet opus, présenté en compétition officielle à Cannes en 2008, Golden Globe Award, Oscar et César du meilleur film étranger en 2009, comment a-t-il été perçu en Israël ?
D’après Uri Klein, journaliste au Haaretz, il a reçu un accueil plus réservé que dans le reste du monde occidental. Il montre bien la difficulté d’être soldat dans un contexte d’occupation et questionne la mémoire israélienne. Le journaliste dit que la guerre au Liban de 1982 n’est pas sujet tabou en Israël : d’ailleurs, la commission d’enquête israélienne Kahane a reconnu, pour les massacres, la responsabilité directe des phalangistes et indirecte d’Ariel Sharon, obligé de démissionner de son poste de ministre de la Défense. En fait, ce film illustre bien l’adage israélien – décrié par certains soldats refuzniks – , « en Israël on tire et on pleure ».

Notes

  • Ari Folman, Valse avec Bachir (film d’animation documentaire et autobiographique sorti en 2008, actuellement visible en DVD uniquement (pas de séance cinéma).
  • Pour Ari Folman, voir les pages Forces de paix, Cinéastes.

.

Ce contenu a été publié dans culture, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *