Les Druzes (duruz en arabe) ne sont pas une ethnie mais une communauté religieuse issue d’Egypte aux origines perse, arabe, turque, kurde et dispersée principalement entre le Liban (400 000 personnes), la Syrie (600 000), le nord d’Israël (120 000) et la Jordanie (20 000). Certains se sont exilés aux USA, au Canada ou en Australie à la fin du XIXè siècle. Ils seraient entre 1,5 et 2 millions dans le monde. Ils forment dans chaque pays un ensemble homogène et même mystérieux puisque la religion qui les unit ne se transmet qu’entre initiés et demeure secrète non seulement pour l’extérieur mais aussi pour les Druzes non-initiés eux-mêmes.
Aux origines la religion druze vient de l’Ismaëlisme, issu du Chiisme musulman. Ce courant ajoute à l’Islam de Mahomet des éléments néo-platoniciens et une interprétation ésotérique, allégorique, des textes sacrés. C’est le septième imam du chiisme Ismael Ben Jafar qui lui donne son nom. Il se propage à la faveur des conquêtes arabes et s’installe durablement en Egypte où règne la dynastie des califes Fatimides (882-1171).
La religion druze naît d’une scission d’avec l’Ismaëlisme sous le 6ème calife Al Hakim qui adhère à la doctrine druze (996-1021), établie par Hamza, Perse d’origine, dont l’ adversaire auprès du pouvoir, Muhammad Ad Darazi ( Turc d’origine dont le nom serait à l’origine du mot druze), veut ajouter au dogme des éléments manichéens, chrétiens et bouddhistes. Celui-ci est exilé en 1018 et part en Syrie avec ses fidèles. Le calife Al Hakim, tolérant au début de son règne envers les autres courants religieux, devient fou et se conduit en tyran intolérant. Il est assassiné sans que son corps soit retrouvé. A sa mort en 1021 Ad Darazi proclame sa divinisation et en fait une sorte de messie appelé à se réincarner. Il fonde ainsi la religion druze. A la mort du calife Al Hakim, son fils, dans la haine de la religion de son père, persécute les Druzes qui s’exilent.
La religion druze s’affirme comme la dernière des religions révélées, opérant une synthèse complexe entre les trois monothéismes, la philosophie grecque, indienne, le manichéisme*, et la religion égyptienne antique. Elle croit en l’unicité de Dieu. Elle ne se fait connaître qu’entre initiés (Sheiks) qui ont un Guide spirituel, et reste secrète pour les « ignorants » druzes qui sont exclus des Ecritures (ce qui peut provoquer des violences au sein des communautés). Les initiés (aux turbans blancs) sont désignés pour leurs hautes qualités morales et mènent une vie très ascétique. L’ensemble des Druzes doit perfectionner son âme toute sa vie pour qu’elle se fonde en Dieu. Il faut parfois plusieurs vies d’où la croyance à la réincarnation : l’âme du mort est censée se retrouver dans la bouche d’un nouveau-né. Dieu a une double nature et apparaît par cycles aux humains (le dernier étant Al Hakim). Cinq ministres dépendent de Dieu et sont associés à des couleurs : l’Intelligence divine (vert), l’Âme (rouge), la Parole (jaune), le Précédent (bleu), le Suivant (blanc). Ce sont les couleurs du drapeau druze.
Les Druzes se distinguent de l’Islam. Ni dogme des 5 piliers, ni charia, ni Coran – mais commentaires des livres de la sagesse de Hamza et de poésie soufie- ni mosquées, ni rites extérieurs, mais des réunions le jeudi soir ou le vendredi entre initiés, une seule fête commune avec les musulmans, le sacrifice d’Abraham, précédée de 10 jours de jeûne. Par ailleurs les Druzes pratiquent l’art chiite de la teqiyya (la dissimulation). Comme les Marannes*, parce qu’ils ont souvent été persécutés par les musulmans sunnites dans l’empire ottoman, ils ont épousé extérieurement les coutumes des pouvoirs dominants et continuent aujourd’hui d’être discrets par prudence. Le prosélytisme est proscrit depuis les massacres des prédicateurs en 1034. On est druze par ses deux parents et on se marie entre Druzes. Ce qui génère un certain repli sur soi, un fort sentiment d’appartenance tempéré par une ouverture aux autres (en particulier aux Chrétiens maronites du Liban) et une absence de fanatisme. On les a parfois comparés à des Francs-Maçons. Enfin, signe de modernité, la polygamie est proscrite, la fidélité conjugale de mise et les femmes sont mieux considérées que dans les communautés sunnites ou chiites du Proche orient : elles peuvent à l’égal des hommes être initiées aux mystères de la religion et par ailleurs recevoir leur héritage familial en cas de testament. Mais elles portent traditionnellement le voile, même si les jeunes générations de femmes qui font des études commencent à se rebiffer et à revendiquer davantage de liberté.
En Israël les Druzes vivent au nord de la Galilée et sur le plateau du Golan, dans des villages à majorité druze. On les trouve aussi à Haïfa ou à Carmel. Sous mandat britannique (1923-1948) certains clans rejoignirent la lutte armée du mouvement nationaliste panarabe alors que d’autres pactisèrent avec les mouvements sionistes, la majorité restant neutre. Lors de la guerre d’indépendance en 1947 une majorité de Druzes combattirent dans la Haganah*, par peur des nationalistes arabes sunnites. Ainsi, dès la proclamation de l’état d’Israël ils établirent avec les Israéliens juifs un « pacte de sang » et furent intégrés à l’armée, à la différence des Arabes israéliens musulmans et chrétiens. Depuis 1956, ils ont une obligation de service militaire pour les hommes et de service civil pour les femmes. L’armée leur avait d’abord réservé des bataillons particuliers ouverts aux seuls Druzes mais depuis 1975 ils sont intégrés aux bataillons juifs, au point que 30% des Druzes servent dans la Défense, du soldat au général, et dans d’autres institutions étatiques. Ils sont considérés depuis 1956 comme appartenant à des communautés autonomes et ont (du moins jusqu’en 2017) la citoyenneté israélienne. 4 députés sur 120 (3%) les représentent à la Knesset alors qu’ils forment 2% de la population. Quelques-uns ont été ministres ou ambassadeurs. De langue et de culture arabe, ils ne se positionnent pas sur les fractures idéologiques du pays, en particulier sur le sort des Palestiniens qui les ressentent comme des collaborateurs d’Israël. Un sondage de 2009 montre qu’ils se perçoivent comme Druzes à 81%, comme Arabes à 64%, affiliés à Israël à 59%, en connexion avec les Palestiniens à 33%.
Mais depuis le vote de la loi « d’Israël état-nation du peuple juif » (19 juillet 2018), les Druzes vivent une crise identitaire du fait qu’ils se sentent et sont discriminés, comme les Arabes musulmans et chrétiens du pays, par la vision ethniciste et théocratique de la loi. A l’appel des leaders de la communauté, 50 000 personnes ont défilé à Tel-Aviv le 4 août 2018 contre cette loi. Déjà en 2017 des manifestations de Druzes avaient contesté la démolition de certains villages druzes considérés comme illégaux (du fait d’une loi qui restreint les permis de construire, beaucoup se voient obligés de construire illégalement). Comment vont évoluer dans l’avenir les relations des Druzes et des Israéliens juifs? La réponse est bien sûr politique et en suspens tant que l’Etat n’a pas de gouvernement.
Reste la question particulière des Druzes du Golan, annexé en 1967 par Israël. Ces Druzes, syriens avant 1967 et résidents permanents israéliens depuis, entretenaient avec leurs familles restées en Syrie des liens affectifs et commerciaux. Mais depuis la guerre civile syrienne de 2011, des Druzes ont été assassinés en Syrie par les djihadistes du front AL Nosra. Et se sont rapprochés du régime syrien. En même temps les Druzes du Golan, inquiets de la situation, demandent de plus en plus la naturalisation israélienne, question elle aussi en suspens.
Manifestation à Tel-Aviv août 2018
NOTES
manichéisme : religion fondée par le perse Mani dans laquelle l’opposition du Bien et du Mal sont les principes fondamentaux.
Marranes : après 1492, ce nom (qui signifie « porc » en espagnol) est donné aux Juifs d’Espagne et du Portugal convertis de force au catholicisme qui pratiquent leur religion en secret par peur des persécutions.
Haganah : organisation paramilitaire sioniste d’autodéfense créée en 1920, qui rejoint l’armée israélienne en 1948.
SOURCES
site les clefs du Moyen-Orient
articles de La Croix, Marianne
Je vous recommande le film La Fiancée syrienne d’Eran Riklis, film israélien sorti en 2004, disponible en VOD sur Arte boutique.
Une jeune fille druze du Golan doit épouser son fiancé qui habite Damas. Elle est heureuse et en même temps triste car elle ne pourra plus rentrer dans son village une fois en Syrie, à cause du conflit entre les 2 états. On fête le mariage sans le marié dans le village mais la bureaucratie oblige la famille à attendre indéfiniment à la frontière. Une comédie amère.
D’autre part le poète Gérard de Nerval, dans Le Voyage en Orient (1851), écrit pendant son séjour en Egypte, en Syrie et au Liban en 1843, et livre des réflexions sur la religion druze dont le syncrétisme le fascine.
Très claire et très instructive introduction à ces Druzes dont on parle tant, et dont on ne sait rien. La comparaison avec les Francs-maçons est valable pour le mystère qui les entoure, mais fausse, parce qu’à la différence des francs-maçons, ils forment un « peuple » et ont une religion qui semble très réglementée et très figée.
L’article donne très envie de lire le livre de Nerval. Un grand merci pour ces informations.
Merci Reine pour cet article très instructif et fascinant sur l histoire , les croyances , diversité des Druzes et leur situation complexe et vulnerable.
Carla