Partager la publication "Would you have sex with an Arab ? Film de Yolande Zauberman (2011)"
Cette réalisatrice française a coutume, dans ses documentaires et ses fictions, de questionner les disparités ethniques et les systèmes de castes dans les sociétés du monde entier : apartheid en Afrique du Sud dans Classified people (1987), castes en Inde dans Caste criminelle (1989), religions ennemies dans la Pologne des années 30 dans Moi Ivan, toi Abraham (1993).
Dans ce film tourné en simple caméra DV à Tel-Aviv et à Jérusalem, principalement dans le monde de la nuit (bars, rues, clubs, fête « queer » palestinienne, rave party sur une plage etc.) elle fait parler, au hasard des rencontres, des femmes et des hommes israéliens arabes ou juifs, à partir de cette question : « Would you have sex with an Arab? (pour les juifs) ou « with a Jew »? (pour les arabes). S’ils répondent par la négative, souvent mal à l’aise ou quelquefois agressifs, elle leur en demande les raisons. S’ils disent oui, pour l’avoir vécu ou n’y voir aucun obstacle éventuel, elle les pousse à se raconter. Les interviews font intervenir aussi des personnalités choisies comme Juliano Mer-Khamis*, et Gédéon Lévy* et alternent avec des plans plus oniriques évoquant des rues, une baignade nocturne de jeunes gens juifs et arabes dans une rivière près de Jérusalem, ou encore l’avancée majestueuse sur un boulevard de Tel-Aviv, d’un travesti palestinien vêtu d’une longue robe rouge avec traîne.
La question inaugurale de Yolande Zauberman, apparemment simple et légère, est bien moins naïve et désinvolte qu’il n’y paraît, dans un tel contexte. Si parler ouvertement de sexe, de désir, d’amour devant une caméra est perçu comme plus ou moins transgressif selon les personnes, en revanche cela devient un véritable tabou à lever quand c’est associé à « l’ennemi ». La question devient alors provocante et l’on remarque, à travers les réponses, le poids des interdits culturels, communautaires, politiques dans un pays en perpétuel conflit.
Une minorité a franchi le pas avec des fortunes diverses. Si des gens comme Juliano Mer Khamis né d’un mariage mixte, Gédéon Lévy ou d’autres anonymes assument la « primauté de la sensualité sur la nationalité », si certains rappellent de façon humoristique que l’ancêtre Abraham lui-même a couché avec une arabe, Hagar, et une juive, Sarah, si beaucoup d’hommes des deux communautés affirment crânement que le désir ne fait pas de différence entre les femmes (ou les hommes), pourtant on voit vite que la guerre projette son ombre sur les relations amoureuses et que sexe et politique sont étroitement imbriqués. Beaucoup expriment l’impression de « faire la paix avec l’ennemi » sur l’oreiller, comme si le conflit prenait corps pour se dissoudre le temps de la relation. Une des jeunes femmes juives interrogée sur sa relation avec un amant arabe dit « avoir vécu le coup le plus anti-érotique de sa vie » car à aucun moment, dit-elle, « je ne pouvais oublier, j’avais le sentiment d’oeuvrer pour la paix ». Certains juifs pensent « réhumaniser » les arabes qui se sentent rejetés ou invisibles aux yeux des juifs.
Mais ce qui ressort davantage encore de ce portrait collectif qui nous est tendu, c’est l’impossibilité, sauf très très rares exceptions, de prolonger dans le temps et d’inscrire dans l’espace social une relation à ce point exogène, d’élaborer des projets d’avenir sur le long terme. Le fossé, moins profond que prévu quand il s’agit de relations éphémères, devient alors infranchissable. Le rejet des familles oblige à la clandestinité, le problème de l’éducation des enfants se pose de façon cruciale dans un Etat non laïc. Enfin et surtout, même si l’on dépasse ces obstacles, apparaît la question centrale du conflit et de la guerre : que se passera-t-il en cas de départ à la guerre, ou d’attentat terroriste? Tous se sentent à cet égard de possibles traîtres à leur famille, à leur communauté. « Si tu vis avec un arabe, il prend la place d’un juif. Si tu vis avec un juif, il prend la place d’un arabe », entend-on. La seule issue reste l’exil, difficilement envisageable.
Même si l’éventail social des personnes interrogées (plutôt jeunes, « branchées », intellectuelles et urbaines), est peu représentatif, si le passage sur les travestis et transgenres palestiniens me paraît intéressant -les minorités sexuelles arabes étant plus à l’abri à Tel-Aviv que dans leur communauté- mais hors-sujet, ce documentaire, bien filmé et attachant, a le mérite d’aborder la société israélienne sous un angle nouveau en dévoilant, à travers une série de portraits, comment l’intime peut conduire à une sorte de Résistance (politique) quand il est à ce point lié à l’histoire collective.
Film présenté à la Mostra de Venise en 2011, dédié à Juliano Mer-Khanis assassiné peu après le film par un activiste palestinien.
En DVD , 85 minutes.
Notes
Yolande Zauberman : réalisatrice française de documentaires et de fictions.
Juliano Mer Khamis : acteur, réalisateur, directeur de théâtre et militant politique israélien, né en 1958, assassiné le 4 avril 2011.
Gédéon Lévy journaliste au Haaretz, quotidien israélien situé à gauche.
Film The Bubble (2007) d’Eytan Fox traitant d’une relation d’amour entre deux hommes, l’un israélien juif, l’autre palestinien de Jérusalem Est.
Comme d habitude super interessant… Super sujet ! Et en plein festival de Cannes….j ai vu The bubbles et cela m avait moins plu que d autres film d Eytan Fox mais le sujet ėtait interessant .
Où peut-0n voir ce documentaire ? En achetant le DVD ?
Il est trouvable sur Amazon (4€98 et à la Fnac).
C’est gentil . mais qui ose quoi?